Hocine Belaïd et « la manifestation Ridgway » du 28 mai 1952 (2ème partie)

mardi 2 juin 2009

Cet article fait suite à une première partie disponible sur notre site à l’adresse suivante : http://pcfaubervilliers.fr/spip.php?article244

Préludes au 28 mai

Le 23 mai, ainsi qu’en a décidé le Mouvement de la paix, des rassemblements sont prévus dans une vingtaine de secteurs parisiens et devant les mairies de banlieue. Un important dispositif policier est déployé dans la capitale où des incidents se produisent rue du Faubourg- du-Temple, à la gare Saint-Lazare et au Carrefour de l’Odéon. On dénombrera en fin de soirée 49 blessés dans les rangs des forces de l’ordre et 279 interpellations dont 42 seront suivies de maintiens en état d’arrestation et d’inculpations.

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Le dimanche 25 mai, la police pourchasse les distributeurs de tracts et des accrochages se produisent sur plusieurs marchés. Dans la matinée le rédacteur en chef de L’Humanité, André Stil, est arrêté et inculpé pour infraction à la loi du… 7 juin 1848 relative à la provocation d’attroupements publics armés ou non. L’après midi, lors de la traditionnelle « montée » au Mur des fédérés, en hommage à la Commune de Paris, des portraits d’André Stil sont brandis comme autant d’invitations à la vengeance.
Le lundi 26, aux portes des entreprises, voire à l’occasion de brefs débrayages, des prises de parole sont effectuées pour appeler à la mobilisation.

Le 27, Ridgway arrive à Paris et traverse la capitale sous une très importante escorte policière jusqu’à l’Arc de Triomphe. A Villejuif, des manifestants, conduits par le maire, Louis Dolly, tentent de bloquer le cortège officiel et, avenue d’Italie, une banderole est déployée. Peu de choses au total. Le grand rendez-vous de lutte est pour le lendemain.

La manifestation a fait l’objet d’une préparation minutieuse.

Le Parti communiste a chargé Raymond Guyot, membre du bureau politique, de l’organisation d’ensemble. Il est assisté d’André Souquière, secrétaire de la Fédération de la Seine et dirigeant important du Mouvement de la paix, à qui se voit confier la tâche de la coordination du PC et du Mouvement de la Paix. André Karman, lui aussi secrétaire de la Fédération de la Seine, suit, pour ce qui le concerne la mobilisation du Parti.

Les itinéraires des cortèges ont été établis et minutés. Le principe d’organisation est celui de la « boule de neige » : de petits groupes se rassemblent et font mouvement jusqu’à un lieu convenu où ils s’agrègent à d’autres groupes. Ainsi doivent se former les « colonnes » constituée des militants de banlieue et des arrondissements périphériques qui entreront dans Paris. Des véhicules sont chargés d’apporter le matériel de la manifestation : point de banderoles, mais de petites pancartes souvent en tôle, fixées sur de gros manches de bois [1]. Non encombrée du matériel habituel des manifestations, les groupes ont vocation à être très mobiles et en capacité d’affronter la police de manière offensive. D’évidence, l’épreuve sera rude : des locaux ont été aménagés en infirmeries de campagne et des véhicules prévus pour le transport des blessés vers la clinique des Bluets.

Il n’est pas possible, dans la limite de ce texte, de rendre compte du déroulement de la manifestation, déroulement complexe en raison de son éclatement spatial. Retenons simplement que les cortèges formés dans la zone Sud-Est de Paris entreront par la porte de Vanves, ceux du Nord et de l’Est viseront la zone Saint-Lazare-Opéra, ceux de l’Est tâcheront d’atteindre le boulevard de Ménilmontant et Belleville.

Le cortège du Nord et de l’Est dans lequel prennent place les militants d’Aubervilliers est très complexe. Trois colonnes le constituent, l’une démarrée au carrefour des Quatre-Chemins qui regroupe environ 2000 manifestants entrera dans Paris par la porte de La Villette, les autres pénètreront qui par la porte de La Chapelle, qui par la porte de Clignancourt. La fusion des trois cortèges doit se réaliser Place de La Chapelle. La « colonne » ainsi constituée emprunter le Faubourg-Saint-Denis puis le boulevard Magenta pour tenter d’atteindre la place de la République.

Le but poursuivi ne sera pas atteint [2] mais, deux heures durant, 20 000 manifestants vont affronter la police. Le bilan est lourd. Les forces de l’ordre déclareront 372 blessés dont 27 grièvement. Du côté des manifestants le bilan est difficile à établir mais l’on compte un mort (Hocine Belaïd), un blessé par balles (Charles Guénard) et de multiples contusionnés. La police procède à 718 interpellations souvent accompagnées de très violents passages à tabac et 140 inculpations vont être prononcées.

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Arrestation - Manifestation du 28 mai

En soirée, Jacques Duclos est arrêté. On découvre dans sa voiture deux pigeons morts qu’il s’apprêtait à cuisiner et qui deviennent, un temps, des pigeons voyageurs chargés de mystérieuses tâches !
Le pouvoir, décide de l’épreuve de force. Le « complot des pigeons » est en route. A l’automne, l’attaque contre les organisations ouvrières et démocratiques se développera encore conduisant, notamment, Benoît Frachon, secrétaire général de la CGT, à plonger dans la clandestinité. C’est seulement à la fin de l’année 1953 que l’affaire sera classée.

La mort d’Hocine Belaïd et la mémoire des communistes

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Obsèques d’Hocine Belaïd à Aubervilliers

Nous avons brièvement évoqué les circonstances dans lesquelles s’est déroulée la manifestation du 28 mai 1952 et son déroulement. Mais il est nécessaire de dire quelques mots sur la mort d’Hocine Belaïd.

La « colonne » formée au carrefour des Quatre-Chemins, parvenue porte de La Villette emprunte la rue de Flandre et arrive place de Stalingrad. Elle doit de diriger en direction de la place de la Chapelle afin d’effectuer sa jonction avec les « colonnes » provenant des portes de Clignancourt et de La Chapelle.
La police a dressé un barrage pour l’empêcher d’avancer. Michel Pigenet relate ainsi la scène : « Place de Stalingrad, André Karman se détache et, à demi tourné, le bras tendu, retrouve le geste de la célèbre Marseillaise de Rude pour hurler : « En avant, camarades ! ». A toutes fins utiles, les militants les plus résolus, souvent d’anciens résistants, garnissent les premiers rangs (…). Enhardi par le courage des « militants de choc », le gros du cortège s’élance (…). surpris et secoué, le cordon de police cède en désordre, mais n’évite pas des pertes, si lourdes qu’il faudra, l’orage passé, replier les gardiens désemparés sur le commissariat du 10e arrondissement. Pris de panique, un brigadier se voyant isolé, a tiré, Hocine Belaïd s’écoule non loin du magasin de vêtements « A l’Ouvrier ». D’abord porté devant un hôtel du Faubourg-Saint-Martin puis amené en voiture à la Polyclinique des Bluets, le malheureux mourra sans avoir repris connaissance. »

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Obsèques d’Hocine Belaïd (photo DR/ICGTHS)

Les obsèques d’Hocine Belaïd se déroulent le 13 juin place de l’Hôtel de Ville. Le maire, Charles Tillon, prononce le discours d’hommage. Un long cortège, ou ont pris place de nombreux maghrébins, accompagne Hocine Belaïd au cimetière d’Aubervilliers.

André Narritsens

Notes

[1A Renault-Billancourt, des ouvriers fabriquent de nombreuses pancartes de tôle. A Aubervilliers il semble que des manches de bois aient été tournés dans les ateliers municipaux sans que Charles Tillon en ait été informé.

[2La « colonne » du Nord et de l’Est, poursuit son avancée jusqu’à la gare de l’Est où se déroulent de violents affrontements, puis contourne la place de la République pour aboutir boulevard de la Villette où Auguste Gillot et André Karman donnent l’ordre de dispersion.

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