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Fronts et Front de gauche, quelques réflexions (1ère partie)
samedi 11 juillet 2009, par
Dans un contexte d’émergence d’un Front de gauche en France, André Narritsens revient sur le concept de "fronts".
La récente période politique a fait ressurgir à gauche l’idée de « front ». Le vocable a des significations très nombreuses. Dans l’ordre politique on retiendra qu’il recouvre tout à la fois l’idée de « faire face » et d’ « alliance ».
La droite n’a pas dédaigné le recours au terme « front », ainsi qu’en témoigne en France le Front national. L’expression a, dans ce cas, un double sens : ligne de défense (faire front contre un danger, l’immigré, l’étranger, au cas particulier) ; unité d’un groupe (les nationaux) contre la menace des « autres ». On ajoutera que la dénomination constitue une imposture puisqu’il a existé pendant la guerre un Front national de lutte pour l’indépendance de la France créé à l’initiative du PCF.
Historiquement, à gauche, le terme a été employé dans la tradition communiste pour désigner différentes formes d’alliances de classes, de couches et de courants politiques en vue de réaliser un objectif déterminé, souvent intermédiaire, dans l’accomplissement d’un projet stratégique du Parti communiste.
Les différentes formes d’alliances correspondent à des types d’organisations particulières dont les buts varient : « front unique », « front unique antifasciste », « front populaire », « front uni », « front national de lutte pour l’indépendance de la France », « front national de libération (ou de libération nationale) »...
En dehors du mouvement communiste, pour lequel un « front » s’entend comme une initiative impulsée par le parti, le terme a été et demeure employé par les courants nationalistes des pays du Tiers Monde. Il désigne alors le regroupement, en une formation politique et militaire, du mouvement de libération nationale de ces pays. Une fois la libération acquise, on entend parfois alors par « front » le parti dirigeant de l’État, comme c’est le cas par exemple en Algérie avec le FLN.
Front unique
Les premières définitions du concept de « front » apparaissent au début des années 1920 dans l’Internationale communiste sous la forme du mot d’ordre de « front unique » ou « front prolétarien ».
Le IIIe Congrès de l’Internationale communiste (1921) prenant acte de l’échec d’une extension de la vague révolutionnaire née en Octobre 1917 et de la force relativement limitée des partis communistes nouvellement formés, décide d’accroître leur influence en sapant l’audience dominante des partis sociaux-démocrates. En décembre 1921, l’Internationale communiste adopte des thèses sur « l’unité du front prolétarien » et définit la tactique suivante : « Les communistes se verront forcés de proposer aux réformistes avant toute action de masse, de s’associer à cette action, et sitôt que les réformistes s’y seront refusés, de les démasquer devant la classe ouvrière. »
La notion de « front unique » apparaît alors comme une tactique de lutte contre la social-démocratie pour gagner la masse des ouvriers à partir de mobilisations concrètes.
Cette politique de « front unique » va caractériser, durant des années, la démarche des partis communistes. Ainsi en décembre 1932, Maurice Thorez déclare encore : « Nous ne voterons jamais, ni au second, ni au premier tour pour le programme du Parti socialiste parce que c’est un programme de défense de la bourgeoisie. Mais nous sommes prêts à voter au deuxième tour pour un programme de front unique, pour un candidat socialiste partisan du front unique de classe » (Œuvres choisies, t.1, p. 110).
Cette orientation dite « classe contre classe » va être remise en cause par le PCF en 1934 puis par l’Internationale communiste en 1935 (VIIe Congrès) suite à la victoire d’Hitler en Allemagne et à la montée des courants fascistes en Europe.
Front populaire
Pour barrer la route au fascisme, ennemi principal, il faut, déclare le secrétaire général de l’IC, Georges Dimitrov, établir une « coopération de l’avant-garde du prolétariat avec les autres partis anti-fascistes ».
L’ancienne distinction faite entre la base social-démocrate et l’appareil du Parti est donc relativisée : on s’adresse aux partis en tant que tels pour faire front contre le fascisme. Le 27 juillet 1934 les partis communiste et socialiste signent un Pacte d’unité d’action. Le 9 octobre le PCF propose au PS d’étendre le Pacte à de nouvelles forces et de travailler à la reconstitution de l’unité syndicale.
Le Front populaire est en route. Il repose sur l’idée que le choix n’est pas, dans l’immédiat, entre la poursuite d’une politique d’Union nationale ou l’instauration du socialisme, mais sur la possibilité de pratiquer contre la menace fasciste une politique « capable de réhabiliter la démocratie en la transformant » (Comité central du PCF des 1er et 2 novembre 1934).
D’abord rejetées par le Parti socialiste et le Parti radical, ces propositions vont faire leur chemin. Le comité d’organisation unitaire de la manifestation du 14 juillet 1935 se transforme, dès le lendemain, en Comité de rassemblement populaire « pour le pain, la paix, le liberté ». Un programme de revendications immédiates et antifasciste est élaboré dans la foulée (qui sera soutenu par 99 organisations) et servira de base politique pour la campagne des élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936. L’expérience gouvernementale de Front populaire a commencé.
Ultérieurement le Parti communiste proposera (en vain) de développer encore davantage la logique d’alliance antifasciste en constituant un Front français rassemblant tous les courants de la société opposés au fascisme.
Une des grandes faiblesses du Front populaire fut de n’avoir pas constitué un vaste réseau de comités de base (bien qu’il en ait existé) et d’avoir en conséquence réduit la capacité d’action politique unitaire des masses populaires.
Front national de lutte pour l’indépendance de la France
Au cours de la deuxième guerre mondiale, la politique de « front », toujours impulsée par le PCF, prend une nouvelle signification.
Le 15 mai 1941, le Parti communiste lance un appel à tous les Français, à l’exception des capitulards et des traîtres, pour la formation d’un « Front national de lutte pour l’indépendance de la France ». C’est l’acte de naissance de ce que l’on appellera, de manière abrégée, le Front national.
Celui-ci va, progressivement étendre son organisation et son influence. Il se dote de sections spécialisées (jeunes, intellectuels…) et crée une organisation de combat : les Francs tireurs et partisans (FTP) qui constituera la plus importante organisation armée du pays que commandera le futur maire d’Aubervilliers, Charles Tillon. Le Front national sera représenté au Conseil national de la Résistance par Pierre Villon.
La structure, encore active au lendemain de la Libération s’étiole cependant peu à peu, les raisons mêmes de son existence ayant disparu avec la victoire sur le nazisme.
(à suivre)