Quel(s) outil(s) pour une transformation sociale radicale ? (6)

Que faire pour remettre la Révolution à l’ordre du jour ?

mercredi 24 août 2011

Cet article fait suite à :
- Naissance des partis "modernes"
- Partis bourgeois et partis ouvriers
- Partis réformistes/partis révolutionnaires
- Quel parti révolutionnaire ?
- Quel parti révolutionnaire ? (suite)
- Les raisons historiques de la construction du Front de gauche

Après avoir, trop rapidement, parcouru les circonstances dans lesquelles la question des partis s’est posée on peut distinguer trois situations :

- les partis non ouvriers se forment comme des associations d’intérêt, construites sur des réseaux de notables, inscrites dans des logiques parlementaires, acquises aux logiques capitalistes, exerçant le pouvoir appuyées sur l’État ;

- les partis ouvriers réformistes se forment plus ou moins comme des associations de classe, s’organisent sur une base idéologique (un certain marxisme), entretiennent des relations ambiguës avec le parlementarisme, visent à exercer le pouvoir en transformant l’État et en appuyant la transformation sociale sur trois outils : le parti, le syndicat, le mouvement coopératif.

- les partis révolutionnaires, je pense essentiellement au parti communiste, se construisent dans une forte relation au prolétariat, ne négligent pas l’action parlementaire (et plus généralement l’action dans les institutions) mais n’y soumettent pas leur raison d’être, visent à prendre le pouvoir en instaurant une « dictature du prolétariat », autrement dit à briser l’État bourgeois en construisant un État prolétarien constitué de nouveaux organes : les soviets (conseils).

Aujourd’hui, le parti communiste a abandonné la logique longtemps défendue d’une rupture brutale et a modifié les perspectives de transformations de la société, sans renoncer à la production de ruptures appuyées sur la mobilisation des masses et validées par le suffrage universel.

Au fond la question de la Révolution continue d’être posée dans le champ des intentions stratégiques mais elle demeure inaperçue du plus grand nombre comme pertinente et crédible.

Or, le dépassement du capitalisme au sens où l’entendait Marx, c’est-à-dire la suppression de la forme antagonique et transitoire du développement humain afin de « maintenir et promouvoir sous des formes nouvelles les contenus antérieurement acquis » [1]. constitue une nécessité historique, un processus dont il est possible de penser les principes dès lors que l’on a répondu à la question suivante : le processus révolutionnaire se réalisera t-il selon la logique d’une guerre de mouvement ou selon celle d’une guerre de position, pour reprendre la distinction d’Antonio Gramsci.

Si l’on s’inscrit dans la perspective d’évitement d’une confrontation violente (mais l’histoire peut bien sûr en décider autrement) - ce qui ne signifie aucunement l’affaissement de la confrontation des classes - la question est posée de l’engagement d’un long processus construisant un rapport de force favorable à la classe ouvrière. Lucien Sève indique qu’apparaît ici un nouveau concept de révolution qu’il propose de nommer « révolution évolutionnaire », en retournant « l’évolution révolutionnaire » dont parlait Jaurès.

Autrement dit, comme le disait Engels en 1883, « un processus de développement des masses qui, même dans des circonstances qui s’accélèrent, prend des années » au cours desquelles se mène la bataille pour l’hégémonie c’est-à-dire l’affirmation d’idées et de positions au sein des divers compartiments de la société et de l’État lui-même qui installent un projet social global.

Il s’agit donc d’un processus de désaliénation du politique dont le cœur ne se trouve pas seulement dans l’État (ce qui était, on s’en est rendu compte, au cœur de la logique de prise du pouvoir et de continuation de l’État) mais dans la société toute entière. Cette réappropriation du pouvoir effectif vise à provoquer l’extinction de l’État tel qu’il a jusqu’alors existé par la montée en puissance de la politique. L’avenir ne se conçoit pas comme on a pu le dire et le croire (mais rarement le penser) comme une administration sans horizon des choses mais comme un auto-gouvernement orienté des hommes.

Si l’on admet une perspective ainsi sommairement évoquée, on écarte toute voie réformiste. On se propulse dans une démarche exigeante, radicale. On retrouve l’articulation de la double besogne (lutte pour la défense des revendications immédiates/lutte pour la transformation sociale) débarrassée de la logique du Grand soir. La formulation de grands objectifs de révolutions évolutionnaires, suppose bien sûr que l’on bâtisse ces derniers à partir de l’objectif constamment affirmé d’émancipation du salariat.

C’est à ce point du raisonnement que se pose au fond le problème de l’outillage de la transformation sociale.

Je vais donner, très sommairement, ma position à ce propos sous la forme d’affirmations que je soumets au débat :

1 – il n’y aura pas de mouvement de transformation sociale s’il n’existe pas des formes politiques capables de l’organiser dans la durée ;

2 – par formes politique j’entends simultanément des outils permanents (partis) capables d’anticipation, de discussions, de décisions, d’élaboration théorique… et des outils transitoires ou pérennes d’organisation de la démocratie directe : c’est la vieille piste des « soviets » ;

3 – les formes politiques évoquées (« partis » et « soviets ») doivent être discutées à la lumière de l’expérience historique et de ce point de vue on sait assez bien ce que l’on ne veut pas et ce que l’on veut.

Pour ce qui me concerne, je ne veux pas d’un parti institutionnalisé, fonctionnant à la démocratie bourgeoise (représentation délégataire), aux clans et coteries, indifférent à la théorie (au « marxisme »), installé comme une bureaucratie ne pensant qu’à sa reproduction [2], formé de dirigeants (grands ou petits) éloignés par leurs modes de vie de la classe ouvrière et cumulant les « honneurs » et mandats…

Je ne veux pas d’un parti hyper-centralisé (militarisé) mais j’estime indispensable un parti très bien organisé (aussi bien sur les territoires que sur les lieux de travail) et discipliné.

Les directions doivent être efficaces, respectées, élues pour des durées limitées (sans démagogie) et qui se recyclent dans d’autres fonctions une fois leur mandat accompli. Les élus doivent être contrôlés et disciplinés. Le parti doit construire ses cohérences dans le débat et former des dizaines de milliers de cadres capables d’aider à l’organisation des luttes du peuple et à la formation de la conscience révolutionnaire (ce qu’Antonio Gramsci appelait « le travail d’hégémonie »). Le parti doit être très militant, fondamentalement articulé au mouvement syndical sans exercer de tutelle sur ce dernier et entretenir des relations de débat et d’action avec toutes les formes organisées d’expression sociale. Le parti doit combattre toutes les discriminations, pratiquer un internationalisme intransigeant et ne jamais oublier que « les malheureux sont les puissances de la terre ».

Ce parti doit intégrer le communisme comme horizon fondamental et penser constamment le présent à partir de celui-ci. Il doit se montrer capable d’accueillir tous ceux qui luttent pour des transformations sociales et politiques fondamentales et se comporter comme une composante déterminante des luttes révolutionnaires qui doivent constituer son ordre du jour permanent.

A.N.

Notes

[1Commencer par les fins. La nouvelle question communiste, p. 96

[2Les analyses de Roberto Michels publiées en 1911 (Les partis politiques – Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties) gardent de ce point de vue toute leur pertinence.

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