Tribune de Lucien Marest, adjoint au maire à la culture jusqu’en 2008
La culture, un droit pour tous
mardi 27 décembre 2011
Lucien Marest, responsable du secteur culture et intellectuels au parti communiste de 1972 à 1995 nous livre une contribution à l’article d’Alain Hayot paru dans l’Huma, actuel responsable culturel au PCF. Il refuse d’accréditer l’idée qu’il y aurait des obstacles à surmonter dans les formulations dans "l’ancienne" politique culturelle du PCF. Lucien Marest, au contraire, retient la qualité de l’héritage en théorie et en pratique laissé par le parti communiste grâce aux les liens tissés par des décennies de lutte commune avec les intellectuels et artistes de ce pays.
Il relève la nécessité de créer un rapport de force politique, et le front de gauche en donne l’espoir et l’opportunité, pour précisément recréer sous les formes adaptées les synergies entre le monde culturel et les classes sociales qui en sont aujourd’hui écartées. Lisez plutôt...
J’ai lu avec attention l’article de Alain Hayot (l’humanité du 29/11/2011) sur ce qui a changé « dans l’approche du parti communiste concernant la culture ».
Pour l’essentiel je partage ses préoccupations, ses analyses, ses propositions. Elles prolongent bien l’héritage communiste qui sur cette question de la culture est exceptionnellement riche. Bien sûr il y eut le Comité Central d’Argenteuil en 1966, toutes les luttes pour accorder un minimum de 1 % du budget de la nation, au ministère de la culture. Puis, il y eut cette défense sans concession de la liberté de création en tous les lieux notamment de théâtre, où elle était souvent menacée par des élus locaux de la droite, mais aussi par des censures politiques gouvernementales (interdiction de « la passion du général Franco » d’Armand Gatti au T.N.P., sous Malraux !).
Du comité central d’Argenteuil en 1966 à l’exception culturelle
C’est ce qui explique l’incroyable popularité des communistes auprès des intellectuels et des artistes qui devait marquer tout le contenu de la politique culturelle de la gauche et permettre le doublement du budget de la culture de Jack Lang en 1981. Après le retour d’une droite revancharde en 1986, il fallut mobiliser les artistes et les intellectuels pour défendre les acquis et empêcher une dérive autoritaire du pouvoir qui menaçait toute la culture.Ce fut le rôle des États Généraux de la culture, à l’initiative de Jack Ralite en 1987, évidemment soutenue par les communistes : Mobilisation, à l’échelle européenne, contre la directive "télévision sans frontières" pour défendre une production audiovisuelle nationale. Mobilisation contre les exigences américaines et le GATT, qui vit naître le mot d’ordre « d’exception culturelle » pour tenter de limiter les exigences destructrices de la rentabilité financière sur la production, la création artistique et culturelle.
Enfin, « la traçabilité » communiste se retrouve aussi dans les initiatives de Michel Duffour, Secrétaire d’Etat à la culture en 2000, qui réussit à élargir le cercle des soutiens publics possibles à des lieux culturels alternatifs, souvent pluridisciplinaires, par exemple les friches culturelles. Une chose est sûre c’est que du comité central d’Argenteuil au soutien sans faille aux droits des intermittents du spectacle, l’apport des communistes, de leurs élus est incontournable pour qui veut comprendre comment s’est construite la politique culturelle de la France, et Alain Hayot à raison d’écrire qu’il ne faut pas renoncer à cet acquis formidable.
Vrais et faux obstacles
Je voudrais plutôt prolonger le débat sur ce qu’il désigne comme « les obstacles à franchir » pour dépasser l’héritage de l’ancienne politique communiste afin d’atteindre ce qu’il appelle « une authentique démocratie culturelle ». C’est sur ce point, qu’il me permettra quelques désaccords et des commentaires marqués, j’en conviens bien volontiers, par le temps passé à contribuer à cet héritage avec de nombreux dirigeants et intellectuels communistes de 1972 à 1995.
Deux obstacles sont ainsi repérés par Alain Hayot. Je le cite : « Dépasser cette conception fondée sur la théorie de l’accès à la culture », qui a l’inconvénient majeur, selon lui, de définir d’un côté « la Création et la Culture (avec des majuscules) de l’autre des masses populaires ». « L’ambition serait de les faire accéder à une culture à laquelle elles seraient étrangères ». Voilà pour le premier obstacle.
Le second serait l’existence du ministère de la Culture tel qu’il fonctionne, depuis sa fondation par de Gaulle pour Malraux, jusqu’à Jack Lang, puis sa fragilisation constante par les politiques de droite depuis 1986 et surtout depuis 2002. Sur le premier point, j’affirme au contraire d’Alain Hayot, que jamais la politique du PCF depuis les années 1960, n’a parlé de création et de culture en ces termes : la culture d’un côté et des masses populaires incultes de l’autre. François Hincker, Roland Leroy, Jacques Chambaz, Lucien Seve, Guy Hermier, Antoine Casanova, Bernard Vasseur, tous ont contribué à faire connaître et partager une conception de la culture bien différente. Et pour ne prendre qu’un exemple de citation parmi des centaines d’autres, voici celle de Roland Leroy en 1972 dans « la culture au présent » :
« La culture d’une société, celle d’un individu, résultent de toutes leurs activités. La recherche et la connaissance scientifique, leur mise en oeuvre dans une technique, le travail productif, l’information et la pratique, qu’elles soient littéraires, plastiques, et aussi politiques, la formation physique contribuent à la culture ».
On est loin de classes populaires dépossédées de toutes les bases de la culture.
A mon avis, situer ces obstacles dans « l’ancienne » politique culturelle du PCF, c’est se tromper d’adresse, et buter sur l’expression, pourtant compréhensible par tous, qu’utilise à l’époque Aragon dans la résolution d’Argenteuil « l’accès de tous à la culture » c’est s’obstiner à ne pas vouloir parler comme tout le monde au risque de n’être compris par personne.
Le PCF élitiste en matière culturelle ?
Ce que vise peut être Alain Hayot c’est une politique culturelle du PCF jugée, à ses yeux, trop élitiste et qui n’aurait pas su prendre en compte ce qui naît du mouvement populaire lui-même, dans le domaine des arts, de la littérature, du cinéma. Bon ! Débat antique et toujours renouvelé du prolékult en Union Soviétique, aux affrontements internes au PCF des années 1950, condamnant Picasso pour essayer d’atteindre Aragon, ou plus tard, le reproche fait au PCF dans les années 1970 d’avoir une position trop radicale sur « la liberté de création sans rivage » qui confinait selon ses détracteurs, à un éclectisme sans principe, dont on croirait retrouver comme un écho dans la curieuse appréciation que porte Alain Hayot à l’égard de la belle pensée, toujours féconde d’Antoine Vitez : « Être élitaire pour tous ». Une formule ramassée dit-il. Une définition du communisme dit au contraire Bernard Vasseur.
Mais, en regardant de près, ce que font les élus communistes dans les lieux où ils siègent, du nord au midi, je ne retrouve pas une telle ignorance des initiatives musicales, théâtrales, picturales, cinématographiques issues éventuellement du mouvement populaire. Et l’Humanité de ce 13 décembre dans sa rubrique, le fil rouge « annonce qu’à Pierre-Bénite on projette des films réalisés par dix jeunes filles de l’atelier cinéma de la ville, autour de leur famille, leur quartier, de leurs croyances, leurs espoirs, sur ce qui leur donne des racines et des ailes »... Mais passons, ou plutôt dépassons, la vie se charge de régler ce genre de débat.
Les artistes et intellectuels, incontournables pour porter le Front de Gauche et Mélenchon en 2012
Le deuxième obstacle concerne le ministère de la culture dont on souhaite revoir les missions. D’accord, à condition toutefois de ne pas revenir avant Malraux, avec un énorme ministère de l’éducation nationale absorbant un modeste secrétariat aux Beaux Arts afin de mieux dissimuler les réductions des financements publics de la création artistique. Par contre, je pense que généraliser l’expérience que nous avons des financements du fonds de soutien dans le domaine du cinéma, à toutes les autres disciplines et secteurs artistiques serait un bon point d’appui pour développer le rôle indispensable du ministère de la culture. C’est une revendication que nous formulons depuis 1994, qui serait bien utile à une gauche telle que la fait espérer l’initiative politique du Front de Gauche.
Pour conclure sur ce point, n’oublions pas d’associer tous les artistes, tous les gens de culture, les syndicalistes du ministère, à cette ambition de « refondation » du ministère de la culture, car ce n’est pas la première fois que sous prétexte de transformation on cherche à le dissoudre et même à le détruire depuis la publication des consignes de l’arrogant Monsieur Sarkozy à sa ministre de la culture en 2007.
Je suis sûr qu’un bon résultat du Front de Gauche et de Jean-Luc Mélenchon, ne s’obtiendra pas sans un soutien visible du monde de la culture. L’expérience prouve, que sans cette intervention citoyenne, une victoire de la gauche aura toutes les chances de décevoir très rapidement. J’imagine que les réflexions publiées par Alain Hayot empêcheront que le débat sur la culture ne se perde dans les sables du « vote utile ».
Lucien MAREST
responsable culture à la section des intellectuels et de la culture du C.C. du PCF de 1972 à 1995, adjoint à la culture d’Aubervilliers jusqu’en 2008
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