Et si à Aubervilliers, la démarche du front de gauche était née en 2003 ?

mercredi 5 octobre 2011

On peut être surpris des résultats électoraux du front de gauche à Aubervilliers. Une ville qu’on donnait durablement acquise au parti socialiste révèle une autre réalité. Comme quoi, une ville peut parfois en cacher une autre ! La victoire mathématiquement impossible de Pascal Beaudet aux cantonales de 2011 s’est devenue politiquement réaliste. Elle contredit les affirmations sur l’inexorable évolution sociologique de la commune. Le glissement naturel de l’électorat espéré par le maire socialiste vers un rosissement inéluctable a montré ses limites. Même dans une ville prétendument en mouvement, la sociologie n’évolue pas si vite.

Et la reconstruction politique autour des valeurs anti-libérales incarnées par le parti communiste mais aussi des formations qui aujourd’hui participent à la construction et l’élargissement du front de gauche est une réalité. Il est vrai que l’inexpérience de l’exécutif municipal issu des urnes en 2008, et qui ne s’est pas beaucoup expérimenté depuis, a favorisé une polarisation autour de ce rassemblement qui montre aujourd’hui sa pertinence.

La réunification des communistes en 2003

Il faut remonter à 2003 pour constater que la volonté d’unité de la famille communiste divisée depuis 1995 a été plus forte que les forces antagonistes. Elle avait permis, au moment où Pascal Beaudet est devenu maire, l’intégration au sein de l’exécutif municipal de la gauche communiste incarnée par Jean-Jacques Karman qui représentait 18% des forces électorales en 1995 et 23% en 2001 (premier tour des municipales). Même si cela avait pu être vécu difficilement par ceux qui avaient été les acteurs de ce déchirement, la raison politique l’a emporté. On a pu être surpris de voir comment dans les années 2003-2008, le fonctionnement municipal avait plutôt bien digéré cette réunification, même si la division passée a sans doute eu des effets négatifs sur les échéances électorales suivantes (cantonales de 2004 et municipales de 2008).

Aussi, cette réunification a apporté à la fois soulagement et espoir auprès d’une grande partie de la population qui avait mal vécu la division. Nos partenaires socialistes qui n’avaient cesse de mettre en cause notre crédibilité du fait de cette situation ont dû changer leur fusil d’épaule et Jacques Salvator d’affirmer "Je ne suis pas Karman compatible". Ils ont alors ouvert la voie à une stratégie qui a pu avoir un temps ses effets, mais dont on voit qu’elle est aujourd’hui usée jusqu’à la corde. Les "60 ans de communisme, ça suffit", affichettes collées systématiquement à chaque élection, y compris trois ans après la municipale de 2008 en constituent le symptôme le plus caricatural. La responsabilité de la division a changé de camp.

De même, incapable de prendre l’initiative d’une proposition d’ouverture en direction de ceux qui auraient pu devenir des partenaires de gauche, le maire a contribué à cristalliser les électorats autour de deux forces dominantes. L’une se trouve en difficulté (parti socialiste, verts) tant du fait de la faiblesse de son personnel politique que de ses stratégies de repli et ses divisions. L’autre (parti communiste et plus largement front de gauche) continue à faire référence dans la population, ce que traduit l’intérêt porté à ses initiatives et ses résultats électoraux.

L’effet du traité constitutionnel en 2005

Avec le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel, qui avait donné une victoire du non à 70% à Aubervilliers alors que le PS local appelait au oui, un travail commun s’était effectué avec plusieurs organisation à la gauche de la gauche, dont la LCR, en phase avec les aspirations populaires et qui se sont manifestées avec beaucoup plus de force qu’à l’occasion de la campagne contre Maastricht. C’est sans doute dans ce contexte qu’on a eu la configuration la plus proche de ce qu’est le front de gauche actuel. Les structurations politiques à l’oeuvre dans les années suivantes n’ont pas permis la concrétisation des espoirs nés de cette victoire. On a en mémoire l’échec des collectifs anti-libéraux de 2006-2007 pour la présidentielle, mais aussi la difficulté localement cette même année à promouvoir une candidature rassembleuse à Aubervilliers pour les législatives tenues dans la foulée des présidentielles. Notre candidat avait fait les frais de la bipolarisation causées par le système présidentiel. Il n’en reste pas moins que la campagne menée lors du référendum, très citoyenne puisque les gens s’étaient largement appropriés le projet de traité diffusé par l’Huma, a contribué à structurer les esprits, au même titre que certaines luttes comme le mouvement contre la réforme des retraites en 2010.

Les municipales de 2008

Avec un large rassemblement à gauche, intégrant des formations comme lutte ouvrière, le POI, des personnalités, la liste conduite par Pascal Beaudet était arrivée en tête du premier tour, améliorant même le score obtenu par l’exécutif sortant en 2001 (32% contre 30% en 2001). Ce score ne s’était pas avéré suffisant pour assurer une victoire au second tour. On se souvient que la liste du parti socialiste avait bénéficié d’un report de voix de droite dont les deux listes étaient loin de faire le plein au second tour. Il n’en reste pas moins que ce résultat traduisait déjà une inflexion de notre influence.

Les européennes de 2009 placent le front de gauche en tête à Aubervilliers devant l’UMP et le PS

Dans une élection traditionnellement compliquée pour le parti communiste (trois députés européens lors du scrutin de 2004), le front de gauche obtient 5 députés (deux communistes, un apparenté et deux partis de de gauche, en l’occurrence Marie Christine-Vergiat et Jean-Luc Mélenchon). Ce qui pouvait sembler une surprise à Aubervilliers où malgré la mauvaise passe nationale du PS, on attendait une liste socialiste largement en tête dans la foulée des municipales, apparaît aujourd’hui logique. Les structurations qui se sont produites depuis plusieurs années dans les esprits et les rapprochements politiques opérés par les formations politiques à la gauche de la gauche ont favorisé cette dynamique même si LO et le NPA (6% des voix à Aubervilliers) avaient leurs listes. Mais le symbole de l’élection de Patrick le Hyaric, albertivillarien, et surtout un front de gauche en tête à Aubervilliers, ont été le point de départ visible d’une reconquête politique possible.

Cantonales 2011 : Pascal Beaudet l’emporte aux cantonales

Avec un large rassemblement allant au delà du front de gauche du moment, puisqu’il incluait le NPA, La FASE (localement les Fédérés d’Aubervilliers), Pascal Beaudet l’a emporté. Sans doute la construction politique réalisée avait-elle permis d’éviter l’éparpillement des candidatures et clarifié le choix des électeurs.

Cette victoire s’est aussi construite avec l’affirmation de forces politiques qui s’organisent et qui participent localement à la construction de ce front de gauche. Le parti communiste, le parti de gauche, la gauche unitaire, Alternative et Convergence (un courant issu du NPA récemment), les Fédérés d’Aubervilliers, se rencontrent régulièrement pour prolonger cette dynamique. Sur le marché d’Aubervilliers samedi dernier, le premier retirage du programme du front de gauche a facilement trouvé preneur (après les 50000 qui se sont arrachés à la fête de l’Huma). C’est de bon augure pour la campagne des présidentielles et législatives.

Les communistes d’Aubervilliers, résolument engagés dans le front de gauche

Après plusieurs débats en assemblée générale, le vote des communistes d’Aubervilliers en juin dernier a clairement affirmé l’engagement du parti dans le front de gauche, en soutenant Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle.

On le voit, la construction à l’œuvre actuellement répond à ce qui se structure dans les esprits depuis plusieurs années localement, ce qu’ont confirmé les scrutins qui se sont succédé. D’autres chantiers s’ouvrent aujourd’hui.

Les échéances présidentielles et législatives constituent une nouvelle étape dans un contexte marqué par le risque de vote utile et les affrontements personnels aussi bien à droite qu’au parti socialiste. Il n’y a pas d’autre alternative à la politique spectacle que de poursuivre la discussion autour de la construction du front de gauche et de son programme (2 euros auprès des militants ou en section) pour répondre aux attentes qui se manifestent au quotidien.

Une première "assemblée citoyenne" du front de gauche aura lieu le vendredi 14 octobre 2011 à 19h00 à l’école Robespierre en présence de François Assensi (député de Seine-Saint-Denis) et Pascal Beaudet (conseiller général). Elle constitue un point de départ qui se poursuivra par d’autres rendez-vous qui seront axés sur des thématiques précises. Nous invitons nos militants, sympathisants, lecteurs à s’inviter dans le débat.

Eric Plée

11 Messages

  • Clin d’oeil Le 7 octobre 2011 à 11:06, par oeil en coin

    Autant dire que vous avez fait de nécessité vertu. C’est plus court ! Mais vous l’avez fait, c’est vrai, continuez !

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  • Un peu court, oui, et pas seulement nécessité ou vertu...
    Une construction politique, c’est à l’échelle de l’histoire une longue affaire expliquait Clémentine Autain, et le Front de Gauche est une construction récente...
    La véritable question aujourd’hui est de savoir si cette construction est en phase avec ce qui se construit dans les esprits et qu’évoque le texte d’Eric Plée. On a quelques réponses par les résultats électoraux, mais il faut aussi les replacer dans leur contexte (participation, situation locale...).
    Je retiens quand même trois choses
    - On a un rassemblement à gauche qui sur les dix dernières années a été à géométrie variable (avec ou sans le NPA, avec ou sans LO...) mais qui, par son existence, constitue une référence politique incontournable dans cette ville, et par la même, un potentiel intéressant pour l’avenir.
    - Le parti socialiste n’a jamais eu la ressource de tenter une OPA sur ce rassemblement, en proposant une ouverture au front de gauche par une participation à l’exécutif municipal. Les tentatives de division qu’il met en oeuvre s’avèrent vaines et contribuent au contraire à creuser le fossé entre les deux principaux pôles politiques dans cette ville. Ce n’est pas forcément une bonne chose dans un contexte où la droite et surtout l’extrème droite proposent des solutions qui n’en sont pas et qui agravent encore la situation des gens.
    - Le défi aujourd’hui est, sans renier ce qui s’est structuré depuis dix ans, de permettre à chacun de trouver sa place dans ce rassemblement pour favoriser son élargissement et surtout porter les valeurs anti-libérales que nous défendons. C’est pour ça que l’initiative du 14 me semble intéressante.

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  • Impressions Le 7 octobre 2011 à 18:05, par Léna

    Merci à Eric pour cette synthèse de la perspective politique lentement dégagée et qui peut porter loin.
    Ceci dit je reviens à Aubervilliers après une période un peu chaotique de ma vie et observe avec curiosité combien le paysage politique local envoie des signaux intéressants.

    Tout d’abord je me félicite que le tribunal ait rejeté le recours socialiste contre l’élection de Pascal et de Leïla. Le premier secrétaire de la section du PS et tous ceux qui l’ont accompagné dans cette démarche sont renvoyés dans les cordes. La protection juridique demandée par le maire et sa première adjointe devrait, dans le même élan, perdre toute consistance...

    J’ai vu avec étonnement que des panneaux électoraux municipaux avaient été mis au service de la fameuse "primaire citoyenne" et que des écoles accueilleraient les bureaux de vote. Plusieurs visiteurs du site se sont dits choqués par ce soutien logistique : je le suis aussi.

    J’ai noté que la sordide bataille d’affiches livrée en août contre l’annonce murale de la Fête de l’Huma s’était éteinte au profit d’un recouvrement réciproque des affiches des différentes écuries socialistes. Comme quoi il faut écouter la musique des murs.

    J’ai sous les yeux deux tracts diffusés par les socialistes locaux dans le cadre de leur campagne des "primaires" et suis frappée par la nullité de "l’argumentation" soutenue (ne parlons pas de l’orthographe). Franchement, j’aurai honte si l’on parlait de JL Mélenchon comme les socialistes locaux parlent de F. Hollande.

    De plus je me demande vraiment ce que veut dire :"Venez choisir le candidat ou la candidate de la gauche pour la ville d’Aubervilliers". Je croyais qu’il était question d’une élection présidentielle...

    J’y lis aussi une "charte d’engagement de reconnaissance dans les valeurs de la gauche" ainsi libellée : "Je me reconnais dans les valeurs de la Gauche et de la République, dans le projet d’une société de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité, de justice et de progrès solidaire".

    Souscrire à cette "charte" est nécessaire pour voter.

    Franchement, la gauche molle a rendez-vous avec l’histoire.

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  • Attention de ne pas rater un rendez-vous avec l’histoire ! Le 8 octobre 2011 à 10:05, par Jean-luc Crélanger les Mayons.

    On sait que la boussole des communistes d’aubervilliers n’est plus très précise, mais pour le calendrier ça c’est nouveau ! (Quoi que ?)

    Le 14, c’est vendredi, pas samedi.

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  • @mélangeur : faut pas confondre "boussole’ pour le cap et "calendrier" pour les dates. Sur le calendrier, il y a ici faute (corrigée d’ailleurs)

    Si on réfléchit un peu, le pb à gauche c’est peut être que trop de gens ont un calendrier en tête et ne regardent pas la boussole pour garder un vrai cap à gauche (babord en "marin").
    Et c’est bien plus grave...

    Merci d’avoir ouvert le débat.

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  • Et si à Aubervilliers, la démarche du front de gauche était née en 2003 ? Le 10 octobre 2011 à 01:18, par attention au centre

    Il y a une dimension qui manque dans cette étude c’est le rôle que peut tenir le centre. C’est vrai qu’une bonne partie de son électorat est au PS, mais ça ne durera pas forcément. On a vu en 2001 qu’Augy aurait pu gagner. Dans les années à venir, avec le modem ou le nouveau centre, on peut avoir des surprises à Aubervilliers.

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  • Et si à Aubervilliers, la démarche du front de gauche était née en 2003 ? Le 10 octobre 2011 à 10:19, par Réponse au citoyen qui parle du centre

    Bien sûr, il existe un électorat conservateur et centriste sur cette ville. Il existe même un vote d’extrème droite très structuré. Pour autant, l’absence de travail sur la continuité de la droite, de militants qui travaillent dans la durée, peut-être que ça va changer, (mais sur les trente dernières années, seul Labois avait assuré une présence continue à droite), empêche toute construction solide à court terme. Il faut savoir que les conneries se paient comptant souvent encore dix ans après... Et le modem n’a pas encore fini de payer le fait qu’Augy se soit jeté dans les bras de Salvator en 2008... Il a savonné la planche à celle qui lui succède et qui l’a payé assez cher lors des cantonales... Seul le travail sur le long terme paie... Quand il paie...

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  • @réponse : Il existe même un vote d’extrème droite très structuré...
    Ben non, et c’est bien le problème : il n’y a pas de structure et ça pèse quand même 20 % à chaque fois. Quelque soit le candidat, même une chèvre (et il n’y a que cela), c’est 20 % à l’arrivée.
    Il n’y a pas de structure politique active et pour autant, ce vote est ancré, ici comme dans tous les territoires où la désespérance scotche une partie de l’électorat.
    La seule manière de la combattre efficacement, c’est pas seulement de dénoncer les fachos à tout bout de champ, c’est de résoudre les difficultés d’une population en souffrance. Et ça, ce n’est pas au niveau d’une ville que tu le fais. C’est un problème de politiques nationales, sur l’emploi, sur le logement, sur les jeunes, sur l’avenir...
    Sinon, on continuera d’être contraint d’aller voter CHirac pour battre le Pen.
    Mais peut être que ça arrange beaucoup de gens de "cantonner" 20 % de voix populaires dans un vote-impasse ?

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  • Et si à Aubervilliers, la démarche du front de gauche était née en 2003 ? Le 17 octobre 2011 à 21:35, par socialiste unitaire

    Presque 10 ans pour avoir une réunion Front de Gauche à Aubervilliers qui rassemble tout ce petit monde. Il manque des morceaux, certes, mais la dynamique s’ancre dans les faits parce que sans doute, elle existait avant. Ce qui est plus préoccupant c’est que le fossé avec le parti socialiste apparaît de plus en plus profond. Si on s’en tient aux faits, le fossé est lié à deux orientations opposées : l’une de rupture avec le système, l’autre d’accompagnement. Et localement, le PS n’a rien fait pour tenter de le réduire, permettant aux composantes du front de gauche de prospérer. On voit d’anciens militants sortir de la naphtaline, des nouveaux s’intéresser à cette construction... Et on continue à fonctionner en vase clos... Continuons camarades et on verra que les primaires n’auront été qu’un épouvantail !

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  • Et si à Aubervilliers, la démarche du front de gauche était née en 2003 ? Le 6 janvier 2014 à 15:54, par Partisan du Front de Gauche

    Je lis ce papier écrit en 2011 et je m’aperçois du chemin réalisé depuis. Pour les cantonales de 2011, on parlait de Front de Gauche élargi à l’époque où ni la Fase, ni Convergence et Alternative en faisaient partie...

    Aujourd’hui, le Front de Gauche s’est élargi, et on s’aperçoit pour une élection comme les municipales qu’il est dépassé. Non du fait de ses difficultés actuelles que l’on sait passagères, non du fait de l’image dégradée du politique auquel le Front de Gauche n’échappe pas, mais simplement parce qu’on a le sentiment d’être entré dans un autre registre : certes, ce registre est pour l’heure largement protestataire à l’encontre de la municipalité actuelle, mais on note que la campagne de Pascal Beaudet, sans démagogie, sans promesses, sans slogan tonitruant... sonne juste et suscite l’adhésion.

    Continuons ainsi, c’est le meilleur moyen de faire vivre le Front de Gauche.

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