La retraite comme question de société. Réflexions

1ère partie

samedi 12 juin 2010

Le Parti communiste a décidé d’organiser une campagne de mille réunions de discussions sur la question des retraites. Notre camarade André Narritsens, sollicité par les communistes de son village natal en Béarn, a animé le 9 juin une réunion sur le sujet à laquelle ont participé cinquante personnes. Il nous a communiqué le texte de son introduction au débat. Nous le publions ci-après.

Le grand effort militant engagé par le Parti communiste est à la mesure de la gravité du problème posé. Il prend place dans d’autres initiatives effectués dans un cadre unitaire construit autour de l’appel de la Fondation Copernic. Ce travail de mobilisation des consciences est indispensable car le pouvoir, appuyé par les idéologues libéraux, et relayé par la plupart des medias a engagé une vaste opération d’enfumage des esprits qui se situe dans la droite ligne des offensives conduites depuis quinze années contre la protection sociale.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à une étape nouvelle de ces attaques menées par le capital et la bourgeoisie. J’utilise délibérément ces deux notions (ces deux concepts) non point par mécanisme de langue de bois mais parce qu’il est indispensable d’être clairs et de nommer en conséquence les choses par leur nom.

Dans l’offensive qu’elles ont déclenchée, les forces de la réaction sollicitent le bon sens, assènent des évidences, mentent par omission ou sans omission, brouillent les pistes, bref canardent le peuple avec des balles enrobées de sucre.

Nous avons connu ce genre d’attaque à grande échelle il y a cinq ans lors de l’épisode du projet de Traité constitutionnel européen. Mais le peuple, au terme d’un considérable effort d’appropriation des termes réels du débat, a su disperser les brouillards dans laquelle on voulait le confiner.

Sur la question des retraites, le même processus peut se dérouler appuyé par des mobilisations sociales qui doivent grandir jusqu’à devenir irrésistibles. Combiner la critique des projets, formuler des propositions et développer les luttes, voilà la clé d’une victoire populaire.

Nous en resterons ce soir à la critique et aux propositions en espérant que celles-ci contribueront aux rendez-vous de lutte qui se préparent désormais dans un contexte unitaire, syndical et politique, affermi depuis que le PS et la CFDT ont quelque peu clarifié leurs positions par rapport à la question emblématique et cardinale des 60 ans [1].

Ne disposant pas de beaucoup de temps je vais circonscrire mon introduction à quatre dimensions. Ce sera forcément assez sommaire, oublieux de bien des aspects, mais nous pourrons sans doute préciser et creuser au cours du débat.
Voici mes quatre séquences.

1. Les retraites dans leur histoire ;
2. Les pièges à déjouer ;
3. L’alternative radicale à gauche :
4. La retraite comme conception communiste.

1 – Les retraites dans leur histoire

Les circonstances historiques dans lesquelles les systèmes de retraite existants mais qui ne concernent aujourd’hui encore, il faut l’avoir à l’esprit, que 10% de la population mondiale, sont à la fois variées et convergentes.
On sait trop peu que le premier système généralisé de retraite (et plus largement de protection sociale) a vu le jour en Allemagne à la fin du XIXe siècle, sous Bismarck. Il ne s’agissait pas d’une philanthropie de circonstance mais d’un projet politique clairement affirmé. D’une main Bismarck réprime le mouvement socialiste et de l’autre entreprend d’édicter des mesures sociales de grande ampleur dont le but est proclamé avec cynisme. Bismarck déclare ainsi : « Avec les assurances sociales, les syndicats n’auront plus qu’à jouer du violon ». Pour résumer Bismarck installe une protection sociale dans le but d’intégrer la classe ouvrière aux fonctionnements de la société bourgeoise et neutraliser la puissance montante de la social-démocratie.

Ce fait soulève la question, qui reste ambiguë aujourd’hui encore, de la nature des conquêtes sociales effectuées sous domination capitaliste. J’y reviendrai dans ma quatrième partie.

En France les choses ne se sont pas du tout passées ainsi. Sous l’Ancien régime la mortalité frappait tôt et la question d’une période d’existence au delà du travail ne se posait pas. Pourtant le droit à pension était affirmé dans une ordonnance du 7 janvier 1407 qui donnait au roi le droit d’accorder une pension « à ceux qui bien et longuement l’auraient servi ». Discrétionnaires, ces pensions d’Ancien Régime allaient au fil du temps lourdement peser sur le budget de l’Etat ou plutôt celui de la Cour, ce qui n’était pas tout à fait la même chose, encore que....

A la fin du XVIIIe siècle un processus de recul de la mortalité s’enclenche qui ne se démentira plus. La question des retraites va surgir dans ce contexte. Certes le XVIIe siècle a vu apparaître quelques embryons de systèmes de retraite. Le plus connu est celui mis en place en 1670 par Colbert pour la marine militaire. Un siècle plus tard, en 1768, les fermiers généraux soucieux de s’attacher durablement leurs salariés créent à leur tour un régime fondé sur des cotisations.

La Révolution française qui a détruit les corporations et les formes de solidarité internes qui y étaient parfois attachées rompt avec ces solutions partielles et va affirmer quelques principes de protection sociale en proclamant la responsabilité de la nation envers les vieux travailleurs. La loi du 22 août 1790 déclare ainsi que « dans l’âge des infirmités, la patrie [doit venir] au secours de celui qui lui a consacré ses talents et ses forces » [2]. Cette loi assure au fonctionnaire après 50 ans d’âge et 30 ans de service le quart de son traitement. Les pensions versées sont à la charge exclusive de l’Etat, il n’y a aucune contribution des employés. Mais le fonds dégagé pour le paiement de ces pensions s’avère très vit insuffisant et le système doit être suspendu.

Face à cette disparition, les administrations financières mettent en place des caisses de caractère privé bâties sur le modèle de l’ancienne Ferme générale, autrement dit alimentées par des cotisations prélevées sur les traitements. D’autres ministères suivent bientôt l’exemple des administrations financières en créant à leur tour des caisses de retraite. On en comptera 24 en 1853. L’Etat apporte assez vite une contribution financière à ces initiatives et s’établit donc un système fondé sur la logique de cotisation des employés et de la contribution financière de l’Etat. Une loi adoptée le 9 juin 1853 boucle presque quinze années de discussions parlementaires, supprime les caisses existantes, attribue leurs actifs et passifs à l’Etat et inscrit les pensions au « grand livre de la dette publique ». Autrement dit l’Etat se constitue lui-même assureur et prend l’engagement de payer toutes les pensions.

La loi de 1853 ne concerne que les fonctionnaires de l’Etat et ignore donc les agents rémunérés sur des fonds départementaux ou communaux3. Cette insuffisance de champ est un peu modifiée au fil du temps mais des systèmes de caisses s’ajoutent qui sont à l’origine de quelques régimes spéciaux (Banque de France, Opéra, Opéra comique, théâtre français…).

Je noterai qu’en 1850 une Caisse nationale de retraite a été mise en place qui repose sur la prévoyance individuelle « volontaire, spontanée et libre » pour reprendre l’expression d’Adolphe Thiers qui fut le rapporteur du projet de loi.
En créant une caisse d’ambition nationale, l’Etat a souhaité mettre en place un organisme incitant à des versements qui constituent un capital avec retour en rente viagère.

Cette initiative attire surtout des petits et moyens bourgeois qui disposent d’assez de revenus pour épargner. Les ouvriers, trop pauvres s’en tiennent à l’écart.

De leur côté, les sociétés de secours mutuels qui continuent les traditions des corporations distribuent parfois quelques prestations aux personnes âgées. La bourgeoisie va hésiter à leur égard entre la répression et l’encouragement. Napoléon III puis la bourgeoisie républicaine vont tenter de les capter. Mais dans le domaine des retraites elles ne joueront pas un grand rôle en raison de la faiblesse de la capacité d’épargne des salariés.

De plus grande importance apparaissent les dispositifs de retraites trouvés par les grandes entreprises qui ont du mal à recruter un personnel stable (mines, chemins de fer, grandes firmes sidérurgiques). Mais ces constructions sont fragiles et l’Etat doit bientôt intervenir.

En 1894 les mineurs obtiennent un régime obligatoire et en 1909 c’est au tour des cheminots. En 1901 on songe à l’instauration d’un régime général obligatoire qui est adopté en 1910 (c’est la loi sur les retraites ouvrières et paysannes – ROP). La CGT combat le dispositif dont le financement est assuré par capitalisation de cotisations ouvrières et patronales auxquelles s’ajoute une allocation viagère versée par l’Etat sous condition de ressources. Non seulement les prestations sont très insuffisantes, mais la CGT qualifie les ROP, l’expression restera célèbre, de « retraites pour les morts », le versement de la pension n’étant acquis qu’à l’âge de 60 ans. Trois millions quatre cent mille des sept millions de salariés sont concernés par ce système en 1913 mais leur nombre chute par la suite à 1,6 millions. Très peu toucheront une retraite. Le système s’effondrera au lendemain de la Grande guerre l’inflation de guerre ayant fait fondre l’épargne constituée. Le principe de capitalisation vient de subir un échec historique.

Après la guerre un débat reprend qui va durer près de dix années et déboucher sur les lois du 5 avril 1928 et du 30 avril 1930 qui créent des Assurances sociales (maladie, maternité et vieillesse) dont le financement est basé sur des principes de répartition (maladie et maternité) et de capitalisation (vieillesse). La vieille idéologie de la prévoyance individuelle organisée l’emporte une nouvelle fois en matière de retraite et le niveau de la pension à terme servie est très médiocre : 40% du salaire d’activité ayant donné lieu à cotisation. Dans les faits très peu de salariés peuvent prétendre à toucher une pension avant 1960, trente année étant nécessaires pour percevoir une pension à taux plein. Cette situation conduit Vichy à instaurer en 1941, sur une base de répartition, l’allocation aux vieux travailleurs salariés de niveau très modeste.

Cette longue période d’un siècle et demi, faite d’avancées partielles et ambiguës s’achève à la Libération dans le contexte de la mise en place « du plan complet de sécurité sociale » prévu par le programme du CNR.
Je ne m’attarderai pas dans une description des systèmes bâtis en 1945-1946 sous l’impulsion décisive d’Ambroise Croizat sauf à souligner que la répartition fonda tout le système de protection sociale, que la volonté d’unification ne fut que partiellement réalisée et que l’ambition de confier la gestion des régimes aux représentants des salariés ne put aboutir. La solidarité entre les divers régimes existants fut assurée par la mise en place de compensations in ter-régimes.

Mais quelles qu’aient été les limites de l’œuvre entreprise, le bond en avant a été considérable et a permis de largement tourner la page de l’abandon social qui avait caractérisé toute la période historique antérieure.

À suivre...

Notes

[1Le Congrès de la CFDT en même temps qu’il a affirmé son soutien au droit de partir en retraite à 60 ans, ce qui est positif, s’est prononcé pour une négociation avec le gouvernement sur la question de la durée de cotisation ainsi que pour l’alignement des systèmes privé/public et… contre la taxation du capital ! Le PS demeure lui aussi ambigu sur la question de la durée de cotisation.

[2Préambule à la loi du 22 août 1790.

6 Messages

  • Changer la vie Le 17 juin 2010 à 08:07, par Sylvie

    L’Humanité, d’hier (mercredi 16 juin) a publié un entretien d’Yves Housson avec Louis Viannet (ancien secrétaire général de la CGT) sur la mise en place de la retraite à 60 ans en 2002 et les effets de cette décision sur la vie. Ce que dit L. Viannet permet vraiment de poser quelques questions fondamentales totalement ignorées dans la déferlante des considérations étriquées actuelles.
    Voici le texte de l’entretien avec Louis Viannet.}}

    Comment la retraite à soixante ans a-t-elle vu le jour en 1982  ?

    Louis Viannet. Par un décret du gouvernement Pierre Mauroy. C’est vrai que le gouvernement a pu prendre cette décision à l’appui des années et des années pendant lesquelles les salariés se sont battus pour cette exigence. Lorsque la mesure a été annoncée, 
la CGT l’a qualifiée d’avancée sociale importante, mais, à l’époque, 
on n’a pas mesuré exactement 
ce qu’elle pouvait apporter.

    Comment était-elle perçue 
par les salariés  ?

    Louis Viannet. Cette revendication remonte à plusieurs décennies, mais elle a été particulièrement forte pendant 
la décennie 1970, où pas un seul cahier de revendications ne paraissait sans qu’y figure en bonne place la retraite à soixante ans. Il y avait un début de montée du chômage, et cela avait fait grandir l’idée  : mieux vaut des retraités que des chômeurs. Les conditions de travail étaient dures. À soixante ans, dans pas mal de corporations, les salariés en avaient vraiment marre. 
La pénibilité ne date pas d’aujourd’hui  !

    En fait, cette avancée a changé la conception même de la retraite car elle a augmenté les chances de partir en bonne santé. Elle a permis de sortir d’une période où, très souvent, 
et pour de nombreuses professions, 
le départ en retraite était un peu perçu comme l’annonce de la fin de la vie. L’avancement de l’âge légal 
s’est accompagné du sentiment d’obtenir le droit à un départ pour d’une nouvelle vie. Même si cette réalité a pris tout son sens avec l’amélioration des conditions de soins, des mesures préventives, qui ont progressivement amené les salariés à atteindre l’âge 
de soixante ans dans une forme meilleure que dans les années 1950.

    Comment a réagi le patronat à l’époque  ?

    Louis Viannet. Je n’ai jamais vu le patronat accéder de bonne grâce à une mesure touchant à la durée du travail. Qu’il s’agisse de la durée journalière, hebdomadaire, annuelle, ou sur la vie, dès qu’on touche à la durée du travail, on touche à la source essentielle de collecte du profit. Alors évidemment, les patrons résistent. En 1982, un an après la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle, le patronat est encore un peu sous le coup. 
Il n’y pas eu de réaction violente 
de sa part à cette mesure. Auparavant, le gouvernement Mauroy avait annoncé la semaine des 39 heures, 
et le CNPF n’avait pratiquement rien dit. La droite n’était pas en situation de mener une grande bataille à l’époque.

    On a le sentiment aujourd’hui que la droite et le Medef cherchent à prendre une revanche sur des décennies de luttes syndicales qui leur avaient imposé ce progrès social.

    Louis Viannet. Quelle que soit la décision que va prendre le gouvernement, il se tromperait s’il considère qu’il en a fini avec ce dossier. Les salariés renoncent difficilement à une aspiration séculaire.

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  • PS : le cul entre deux chaises Le 17 juin 2010 à 09:24, par Robert

    Les socialistes distribuent un 4 p grand format sur la question des retraites. C’est une contribution au débat.

    Certes le PS a quelque peu rectifié le tir, vers la gauche s’entend. Ca fait tout de même un peu drôle de lire M. Aubry sur les 60 ans après ce qu’elle avait dit il y a quelques semaines.

    Ceci dit le PS joue petit bras.

    Dans sa proposition de réforme il n’y a guère d’ambition. La réflexion est toute entière engluée dans des banalités réformistes (au sens profond du terme : la volonté de non révolution).

    Le capital ne va pas sombrer dans l’insomnie. L’augmentation des cotisations salariales et patronales sera "modérée et étalée dans le temps".
    Rien n’est proposé pour s’attaquer à la financiarisation de l’économie. L’emploi (hormis celui des "seniors" dans des termes d’une extrême banalité) n’est pas mis au coeur de la réflexion...

    Tout ce qui est proposé est sous cette tonalité.

    Plus grave encore : qu’est ce que la retraite ? Un truc qui apparaît aux frontières de l’épuisement ? Un espace où l’on fait ce qu’on veut (ou peut, ça dépend) sans projet d’ensemble ?

    Ou bien une autre vie qui commence pour 20 ans et qui suppose d’être pensée comme une nouvelle question sociale ?

    Peut-on discuter de cela ?

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  • La retraite comme question de société. Réflexions Le 17 juin 2010 à 11:30, par Solfère Hinault

    Le PS est favorable a l’emploi des séniors. A titre d’exemple, l’un des employés du PS rue de Solférino, agé de 62 ans, en l’occurrence, un certain Jacques Salvator, aurait logiquement pu faire valoir ses droits à la retraite.

    Et bien non, le choix qui a été négocié par l’intéressé est celui du licenciement, ce qui lui permet au passage de percevoir une indemnité... Il prendra donc sa retraite au delà des 62 ans prévus dans la réforme gouvernementale.

    Cette info a été relevée sur le site du PS. Plutôt que de confirmer, infirmer ou répondre à ce post, le gestionnaire du site, a préféré censurer.

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  • Ensemble pour être plus fort Le 22 juin 2010 à 19:55, par Retraité combatif

    Pour le maintien de la retraite à 60 ans et à taux plein, la FSU, Sud Education, le Front de Gauche (PCF/PG/GU), le NPA, Les Fédérés d’Aubervilliers de la FASE appellent à un rassemblement pour un départ collectif à la manifestation "République-Bastille-Nation" jeudi 24 juin. Rendez-vous place de la mairie à 13heures.

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  • Renfort Le 23 juin 2010 à 08:11, par Monique

    Deux militants de la CFDT ont distribué lundi soir un tract à la station Fort d’Aubervilliers appelant à la manif du 24.

    Le texte est bref, le voici : "Une retraite juste, juste un droit !"

    Voilà de quoi alimenter la bataille des idées.

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  • Tractage (suite) Le 23 juin 2010 à 08:15, par Albert

    Lors de la fête des assocs, des militants du PCF conduits par Laurence Grare et Pascal Beaudet ont distribué le tract national du PCF sur les 60 ans ainsi que l’appel unitaire à se regrouper à 13 heures le 24 pour la manif.

    L’initiative a été très appréciée ainsi que la présence de Pascal Beaudet.

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