Tribune de Caroline Andréani

Chute du Mur de Berlin : "il n’y a pas de quoi se réjouir !"

jeudi 12 novembre 2009

Si personne aujourd’hui ne conteste que le mur de Berlin devait tomber, la lecture qu’on peut faire de l’histoire "post-communiste", notamment dans les pays de l’Europe de l’Est, diverge de l’angélisme affligeant qu’on peut entendre ou lire dans nos différents médias. La tribune de Caroline Andréani que nous publions ici participe d’un débat que le lecteur pourra approfondir avec la lecture de la tribune de Lucien Marest publiée sur notre site ou avec le dossier de l’Humanité sur le sujet.

Pour tous ceux qui ne réussissent pas à échapper au déferlement idéologique anti-communiste qui prévaut depuis quelques semaines à l’occasion des 20 ans de la « chute du Mur de Berlin », il faut rappeler que l’effondrement des régimes communistes en URSS et en Europe de l’Est a eu de multiples conséquences désastreuses, pour ces pays et pour le monde entier. Il faut être bien aveugle pour se réjouir de la fin de cette expérience à nulle autre pareille dans le monde : il n’est que voir où le capitalisme triomphant mène la planète !

Les communistes non repentis ont tout intérêt à faire un état des lieux des conséquences immédiates et à moyen terme de cet effondrement. Cela suffirait à réfréner bien des ardeurs, si la posture des pseudo journalistes et de la kyrielle des experts n’était pas avant tout idéologique. Certes, avec l’effondrement des pays de l’Est, les communistes ont perdu une bataille idéologique. Mais la situation que vous vivons actuellement est la preuve que le capitalisme est système mortifère qu’il faut détruire.

-l’effondrement des régimes d’Europe de l’Est et de l’URSS a permis au
capitalisme de bénéficier une bouée d’oxygène, grâce au pillage de ces
pays.
Ne nous y trompons pas : même si ils ont dénoncé l’arriération
économique qui prévalait selon eux dans ces pays, les capitalistes ont
fait main basse sur les matières premières, les terres agricoles, les
entreprises industrielles, les cadres et techniciens, les chercheurs,
les ouvriers, etc. Tout ce qui pouvait l’être a été démantelé, racheté à
bas coût, spolié… Il y avait donc, contrairement à ce que l’on nous dit,
des richesses dans ces pays.

A n’en pas douter, sans l’effondrement de l’URSS et des pays d’Europe de
l’Est, la crise du système capitaliste que nous connaissons aujourd’hui
aurait certainement eu lieu 15 ans plus tôt.

-la première d’Irak (1990-1991) a éclaté dans ce contexte, alors que
Bush père ne connaissait plus aucune entrave à sa politique belliciste.
Il s’agissait pour les États-Unis triomphants d’instaurer une nouvelle
ère politique et militaire, basée sur la peur d’une intervention
militaire unilatérale des États-Unis et de leurs alliés.

Au niveau international, l’équilibre entre les grandes puissances
disparu, de nombreux conflits ont éclaté pour le plus grand malheur des
peuples. La mondialisation, dans toutes ses dimensions d’exploitation
sans frein, de guerre à outrance, d’écrasement des expériences
progressistes à travers le monde, de régression sociale en Europe
occidentale, est la conséquence directe de cet effondrement.

-le dépeçage de la Yougoslavie, la guerre de Bosnie, la guerre du
Kosovo sont également la conséquence de l’effondrement de l’URSS
. Cette
agression impérialiste en plusieurs temps (reconnaissance de l’« 
indépendance » de la Slovénie et de Croatie unilatéralement par
l’Allemagne en décembre 1991, puis guerre de Bosnie (à partir de 1992),
puis agression de l’OTAN contre le Kosovo de 1999), visant à démanteler
un État souverain, à le réduire à quelques entités régionales basées sur
une conception étroitement ethnique, avait pour but d’ouvrir la
Yougoslavie au capitalisme et de démontrer à la Russie qu’elle n’était
plus qu’une puissance de 2e rang incapable d’empêcher la communauté
internationale de déclencher une guerre à ses portes contre un de ses
alliés.

-sans parler du délitement social des pays de l’Est et de la Russie.

— Première conséquence, l’émergence et le renforcement de mafias
extrêmement puissantes
, qui ont accompagné et tiré profit du passage
d’une économie de type socialiste au capitalisme. Pour ne citer que les
plus connues, la mafia russe et la mafia albanaise. Elles ont organisé
les trafics en tous genres : trafics d’armes, trafics d’êtres humains
(prostitution, trafics d’organes), trafic de drogues… et prospèrent
toujours actuellement.

— Deuxième conséquence, la mise en place d’un personnel politique
corrompu, acquis à la nouvelle idéologie, et participant allègrement au
dépeçage de leurs pays
. On peut citer au premier chef Eltsine, voyou
alcoolique, qui reste un modèle de corruption. Le processus a été
identique dans de nombreux autres pays, avec une attitude absolument
écœurante du personnel politique du monde occidental, à la fois complice
et profiteur de la situation.

— Troisième conséquence, pour les peuples : le bouleversement de
l’organisation sociale et la paupérisation extrême des plus
précaires
. L’effondrement des pays de l’Est a eu pour conséquence un
remodelage complet des sociétés de ces pays, qui s’est traduit par une
régression énorme du niveau de vie général, par la perte dans les acquis
sociaux généraux (travail pour tous, logement pratiquement gratuit,
accès à la santé, à l’éducation, etc.), et par la précarisation extrême
des plus fragiles. On peut citer le cas des retraités russes, obligés de
mendier, de trouver de petits boulots pour survivre, et la situation est
identique dans tous les pays d’Europe de l’Est.

On peut citer ces cadres russes et d’Europe de l’Est, prêts à n’importe
quoi pour survivre, acceptant de se dévaloriser pour obtenir du travail.
Mais aussi tous ces travailleurs migrants, qui bien que qualifiés,
acceptent de travailler dans n’importe quelles conditions à l’ouest pour
envoyer de l’argent à leurs familles.

On pourrait aussi citer les attaques frontales contre les droits de
femmes : en Pologne, le droit à l’avortement a disparu. En Allemagne de
l’Est, la disparition des crèches a pour conséquence directe la chute du
taux de natalité, etc.

— Quatrième conséquence : le retour des exclusions contre les peuples
tsiganes et roms
. Si autant de tsiganes roumains, yougoslaves,
tchèques, slovaques… viennent en France, c’est parce que ces peuples,
protégés jusqu’à l’effondrement du Mur de Berlin, ont été chassés sans
ménagement de leurs terres, des emplois qu’ils occupaient, des logements
où ils vivaient, marginalisés, persécutés, et finalement contraints à
l’exil.

— Cinquième conséquence : l’ouverture de ces pays au capitalisme sans
frein
. Depuis une quinzaine d’années, les entreprises d’Europe
occidentale jouent à « saute-mouton » dans les divers pays d’Europe de
l’Est et en Russie, créant une entreprise ici, la fermant dès que les
salaires augmentent pour délocaliser ailleurs. Dans le même temps, les
entreprises de l’agro-alimentaire font main basse sur les terres
agricoles, les cheptels, etc.

Cette stratégie est mieux contenue en Russie depuis la restauration d’un
régime fort qui a brisé les ailes de profiteurs locaux (mise en prison
de certains oligarques, démantèlement d’empires industriels constitués
par le pillage dans les années 90).

— Sixième conséquence : le développement d’une idéologie anticommuniste
viscérale
, assimilant communisme et nazisme. Cette idéologie se diffuse :

— -dans les anciens pays de l’Est : par exemple, dans les Etats baltes,
les nazis ont été réhabilités ainsi que les collaborateurs qui ont
participé sous l’uniforme SS aux massacres et à l’extermination de leurs
peuples, des Russes et des Juifs. Dans les manuels scolaires, on réécrit
l’histoire en faisant de ces collaborateurs des héros ! Quant aux
symboles de la libération, ils ont été détruits (monuments commémorant
la victoire de l’Armée rouge en 1945) ou déplacés (comme le mémorial de
Tallinn commémorant la victoire de l’Armée rouge sur le nazisme, déplacé
sur décision du gouvernement estonien en 2007)

— -au niveau de l’Union européenne, les parlementaires de droite et
d’extrême droite mènent une offensive pour obtenir la criminalisation du
communisme

— -dans de nombreux pays occidentaux, on participe de manière moins crue
à cette réécriture. Par exemple en France, les thèses de l’historien de
droite Ernst Nolte, qui assimile communisme et nazisme, sont largement
diffusées comme une évidence, notamment par le biais de l’enseignement
de l’histoire dans le secondaire.

Dans tout cela, il faudrait également caser l’indemnisation des
aristocraties chassées par les régimes communistes dans les années 40,
la récupération des châteaux, propriétés de famille, œuvres d’art de ces
aristocraties, et même l’indemnisation des anciens nazis de retour au
bercail.

Décidément, nous avons beaucoup de choses à dire sur l’effondrement du
Mur de Berlin !

La liste est longue : n’hésitez pas à la compléter.

Caroline Andréani, membre du Conseil National

4 Messages

  • Chute du Mur de Berlin : "il n’y a pas de quoi se réjouir !" Le 12 novembre 2009 à 18:25, par Vive le mur de Berlin ?

    Si j’ai bien compris, il aurait fallu que le mur de Berlin reste en place ! Analyse assez affligeante. On attend autre chose d’un écrit de quelqu’un qui se prétend historienne. Il suffi de lire les dossiers publiés dans l’Huma pour comprendre que l’échec des démocraties populaires tient entre autres à l’incapacité de ces régime à lier progrès social et démocratie. Dès lors, la chute du mur était inscrite dans les gênes du système... Alors si on partage tout le reste du propos, l’introduction me désole.

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  • Chute finale ? Le 13 novembre 2009 à 11:58, par Gérard

    La Tribune de Caroline Andréani m’interpelle. Je lui trouve le mérite de mettre en évidence les conséquences négatives provoquées par l’implosion des années 1989-1991. Mais je pense qu’il faut aussi interroger les raisons de l’implosion elle-même.

    Bien sûr il y a les ennemis de toute transformation sociale qui ont des "arguments" faciles mais il y a aussi les progressistes, les révolutionnaires, les communistes qui ont déjà beaucoup réfléchi et réfléchissent encore.

    Pour ma part je suis très troublé par le fait que ne subsistent que très peu de forces de gauche (je dis bien de gauche) dans les ex pays "socialistes".
    De plus il y a des choses étranges comme le PC de Russie ou le PC Moldave. Seuls signaux réconfortants : Die Linke en Allemagne et le PC de Bohème.

    C’est peu de chose (encore que) mais ça nous aide, nous qui n’avons pas renoncé à la lutte pour la libération humaine, à la lutte pour le communisme.

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  • Hé si ! Le 13 novembre 2009 à 12:32, par carlos

    Oui la chute du mur de Berlin a été une bonne nouvelle, et d’abord pour tous ceux qui luttent pour changer le monde.

    Il faut certes le temps de la digestion mais franchement, en quoi le "socialisme réel" a-t-il amélioré le sort des travailleurs dans ces pays ?
    En rien : 70 ans de socialisme étatique pour arriver à un niveau et une qualité de vie inférieurs à celle des salariés des pays développés même sous un régime capitaliste ?

    Qui a payé l’addition politique : les peuples. Qui a payé l’addition économique ? Les mêmes.

    A contrario, la chute du Mur et l’effondrement de l’ex-bloc soviétique ont libéré les forces du changement d’un "modèle" qui barrait l’horizon. C’est l’incapacité des forces communistes à se libérer de ce poids qui les met aujourd’hui dans l’impossibilité de proposer une alternative viable et crédible au système capitaliste.

    Au moins, aujourd’hui, pouvons nous pousser un peu plus loin la réflexion pour agir et imaginer un système politique et économique juste, non soumis à l’argent et développant les libertés individuelles et collectives.

    Encore faut-il laisser tomber les vieilles illusions et se souvenir que ces régimes ont tué plus de militants dévoués à la cause des peuples que n’importe quelle dictature capitaliste.

    La gauche de gauche a d’autres inspirations à retrouver : Guesdes, Babeuf, Gramsci, Jaurès, Luxemburg... et tant d’autres.

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  • C’est sur que les adolescents des pays de l’est avaient moins de libertés et d’objets de consommation que ceux de l’ouest. Par contre leur niveau scolaire, leurs connaissances scientifiques étaient et restent supérieurs (hormis le Japon qui a un système éducatif efficace). Par ce que tout le systéme scolaire a continué de fonctionner avec de vieilles méthodes : apprentissage par coeur, répétition. Oui la répitition est l’ame de l’enseignement. Quand on répéte des théorémes de mathématiques ou des formules de physique ça finit par rentrer. La possibilité de devenir ingénieur chercheur écrivain était plus grande dans les pays de l’est que dans les pays capitalistes.

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