Tribune de Jack Ralite dans l’Humanité du 19/11/12

Il est urgent que la France s’engage aux côtés du peuple syrien

Quel rôle joue la communauté internationale contre la dictature de Bachar Al Assad ?

mardi 20 novembre 2012

Par Jack Ralite, ancien ministre et ancien sénateur de Seine-Saint-Denis.

Le peuple syrien vit une tragédie depuis vingt mois. Ayant osé s’exprimer massivement et pacifiquement pour la liberté, la démocratie, les revendications sociales, contre la dictature de Bachar Al Assad, celui-ci a répondu en tirant au revolver, au fusil, à la mitrailleuse, au canon, de ses chars, ses hélicoptères, ses avions, ses navires, sans oublier l’arme blanche et les terribles bombes à fragmentation, tout cela visant les hommes et les femmes jusqu’aux enfants. L’arithmétique de la mort atteint les 40 000 personnes, 100 000 autres arrêtées, torturées, disparues, des centaines de milliers de déplacées, 450 000 ont gagné l’étranger. C’est une guerre contre les civils, une horrible tempête détruisant les maisons, les outils de travail à la ville et à la campagne, les services publics.

Le peuple syrien s’affronte à «  l’ensauvagement  » de sa vie par un bourreau haineux et dominateur qui recourt à des crimes contre l’humanité. Le droit de vivre en Syrie est un devoir d’humanité pour chacun de nous. Là-bas, c’est ici, là-bas agissent des compagnons simples et lumineux, ici nous devons clamer notre colère.

Chacun doit se dire : «  Si je ne dis pas, ne serait-ce qu’un mot, alors qui ? Si je ne le dis pas tout de suite, alors quand ?  » Là-bas se trouve un peuple souffleur de conscience 
refusant l’intimidation et surmontant la peur, ici peut et doit se 
trouver un peuple qui se compromette avec la dignité, la liberté des Syriens en décidant de dire et de faire une solidarité intrépide et courageuse en direction de tous les détenteurs d’autorité en France, en Europe et dans le monde, qui se font surtout remarquer par leur défaillance. Bachar Al Assad brutalise à l’extrême la Syrie, les manifestants pacifiques la civilisent. Bachar Al Assad et son clan ont perdu leur légitimité mais persistent dans la répression d’une société pleine d’êtres enfermés de naissance contre laquelle l’Armée syrienne libre se trouve en première ligne.

Le monde ne fait même pas le minimum. L’ONU est aphone, impuissante, incapable de la moindre réaction humaine efficace. Le Conseil de sécurité, dans sa forme actuelle, bafoue sa «  responsabilité de protéger  » les civils de tous âges pris pour cible. Il se limite à enregistrer régulièrement les veto inexcusables de la Russie et de la Chine qui, par ailleurs, contribuent à armer Bachar Al Assad. En attendant une réforme de l’ONU, pourquoi ignorer que, lorsque le Conseil de sécurité est bloqué par un veto, il est possible de saisir l’Assemblée générale, qui bénéficie alors d’un large pouvoir ? Elle peut, dans ce cadre, prendre des initiatives appropriées à la situation tragique du peuple syrien. Sans oublier la saisine de la Cour pénale internationale.

L’Europe a certes décrété des sanctions, mais leur réussite est mise en cause par les diverses livraisons de la Russie et de l’Iran. L’Europe ne devrait pas oublier le conseil de Walter Benjamin : «  Laisser aller le cours des choses, voilà la catastrophe.  »

La France a une parole généreuse qui s’est trop longtemps évanouie dans une posture velléitaire, réclamant une démocratie à l’occidentale ignorant la grande diversité ethnique et confessionnelle du peuple syrien et le travail inouï que représente son rassemblement, pour lequel milite notamment un mouvement laïc très ancien. La Syrie continue de connaître des centaines de manifestations pacifiques avec un mot d’ordre d’unité : «  Un, un, un, le peuple syrien est un.  » C’est «  sa belle manière d’être avec les autres  » dirait Éluard.
Vendredi dernier, 9 novembre, les mots d’ordre des manifestations pacifiques à Alep étaient : «  Non au confessionnalisme, oui à l’unité nationale  », «  Non à la défiguration de notre révolution syrienne  », «  La Syrie est pour les Syriens  », «  Un seul pays pour un seul peuple  », «  L’unité nationale est notre boussole  », «  Le confessionnalisme est une balle contre notre révolution  », «  On va reconstruire, fils de martyrs, ta mère, la patrie  », «  Je suis un Arabe mais je défendrai les droits de mes frères kurdes et je salue la fraternité entre Arabes et Kurdes  »… Chacun peut en avoir la preuve en consultant les sites des Comités de coordination de la révolution syrienne.

La France doit s’engager concrètement et ardemment aux côtés de la société civile, des réseaux sociaux, des comités locaux dans les quartiers populaires et les villages, de la coordination nationale entre le mouvement insurrectionnel et la continuation de la société civile. Les Syriens ont besoin de nourriture, de médicaments et de matériel hospitalier, de fournitures scolaires, de matelas, de couvertures contre le tout proche hiver, très froid en Syrie.

La France, l’Europe, le monde doivent apporter la bonne réponse à l’agitation de l’épouvantail djihadiste, si précieux pour Bachar Al Assad. La présence djihadiste, encore marginale en nombre, est un danger réel si le peuple syrien est abandonné à lui-même. Ne pas céder à la peur est la meilleure arme contre l’islam radical. Les journalistes courageux qui sont allés là-bas le confirment. Bien meilleure encore est l’arme d’un appui à tous ceux dont nous approuvons la lutte, celle de leur liberté contre un régime tortionnaire.

Ne laissons pas détruire ce pays dont l’histoire a été si précieuse pour toute l’humanité. C’est là qu’a été construite la première maison, qu’est apparu le premier alphabet, qu’ont été construits des édifices classés par l’Unesco trésor de l’humanité. Le peuple syrien, traditionnellement si hospitalier et pacifique, réclame et espère un appui rapide, efficace, sur place et dans les camps de réfugiés, une aide logistique et financière et la reconnaissance de sa capacité à se créer un avenir de paix, de justice et de liberté.

Ajoutons qu’aujourd’hui, l’opposition syrienne évolue en se structurant mieux et en améliorant sa coordination. Les résistants conservent leurs positions, surtout dans le nord de la Syrie, où ils en prennent de nouvelles. Dans la guerre de Damas, il y a eu ces jours-ci des tirs sur le palais présidentiel.

L’élection à la présidence du Conseil national syrien de Georges Sabra, figure historique de la résistance, qui a passé huit ans dans les prisons du régime, est significative. Quand il a quitté la Syrie, j’ai eu le privilège de le rencontrer à Paris, où il venait d’arriver et de pouvoir apprécier cet homme trempé dans le combat au travers d’un dialogue ouvert. Il pense la politique en fonction des jours d’après. Autre avancée, la création d’une coalition large réunissant d’autres formations et de grands résistants de l’intérieur, tel Riad Seif, ce qui peut précipiter la chute du régime de Bachar Al Assad.

Dès lors qu’une bonne partie de la communauté internationale, à l’instar de la France, aura considéré cette coalition nationale comme seule référence de légitimité du peuple syrien, tous les moyens doivent lui être fournis pour assurer sa vie et sa protection.

Il y a un an, beaucoup d’entre nous étaient au Théâtre de l’Odéon, archi-plein, dans une première action de solidarité avec le peuple syrien. Nous n’avons cessé depuis d’exprimer cette solidarité. Aujourd’hui, notre devoir est de continuer et de faire plus, à travers de grandes initiatives à caractère culturel, humain et politique que nous (1) vous proposons.
 
(1) Parmi lesquels : Michel Piccoli, Pierre Arditi, Ariane Mnouchkine, Hélène Cixous, Stéphane Hessel, Marcel Bozonnet, Costa-Gavras, Jean-Luc Godard, Rithy Panh, Maguy Marin, Jonathan Littell, Rony Brauman, Dominique Blanc, Marie-Christine Barrault, Ariane Ascaride, Jane Birkin, Jacques Lassalle, Didier Bezace, Denis Podalydès, Murielle Mayette, Louis Sclavis, Philippe Caubère, Robin Renucci, Bernard Noël, Olivier Py, Monique Chemillier-Gendreau, Gérard Alezard, Jacques Gamblin, Ernest Pignon-Ernest, Elias Khoury, Abdellatif Laâbi, Nedim Gursel, Dan Franck, Daniel Buren, Paul Fourier, Janine Mossuz-Lavau, Jean-Pierre Siméon, Geneviève Brisac, Alain Gresh, Jean-Baptiste Para, Vladimir Velickovic, Jean-Paul Wenzel…

Un train pour la liberté :
Mardi 11 décembre, un train pour la liberté du peuple syrien partira à 10h de la gare de l’est à Paris. Il se rendra à Strasbourg où, après un rendez-vous débat au Théâtre national de Strasbourg entre les voyageurs du train et les amis strasbourgeois du peuple syrien, des délégations rencontreront élus et autorités du Parlement européen, entre 15h30 et 18h30, pour leur transmettre des propositions d’actions.
La participation aux frais est de 20€. les personnes intéressées peuvent laisser leurs coordonnées dans la rubrique "contact" de ce site, à l’attention de Bernard.

5 Messages

  • Il est urgent que la France s’engage aux côtés du peuple syrien Le 24 novembre 2012 à 12:23, par Réaction

    Présenter le conflit syrien comme la répression par un dictateur sanguinaire d’un peuple syrien en lutte pour sa liberté démontre une méconnaissance totale du sujet.

    Il y a en Syrie une tentative de coup d’Etat, menée conjointement par les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne pour des raisons économiques - réserves de gaz notamment - et géostratégiques que chacun connaît. Le tout avec l’appui de grandes démocraties, à savoir la Turquie, le Qatar, l’Arabie Saoudite (pays qui tous, respectent les droits de l’homme comme chacun sait).

    Nous avons déjà eu :
    - l’Irak - pays qui est revenu au Moyen Age comme le souhaitait Donald Rumsfeld
    - la Yougoslavie - qui est revenue au 19e siècle en une mosaïques de micro-Etats sous impérialisme allemand, où les retraités mendient pour manger et où les notions d’éducation et de santé pour tous ont disparu avec l’arrivée au pouvoir des chantres de la démocratie libérale
    - la Libye, qui est revenue, elle aussi, au Moyen Age.

    Je ne vois donc vraiment pas comment nous pourrions justifier une énième intervention impérialiste ! Ce que défendent les gens qui veulent le renversement du régime syrien, ce sont au contraire les droits des capitalistes de faire régresser des sociétés développées pour y imposer la loi de la jungle pour les peuples, et les droits des multinationales qui veulent voir régner les lois commerciales internationales pour le pétrole, le gaz, les télécommunications.

    Défendre la déstabilisation du dernier Etat laïque de la région, prétendre voir des combattants de la liberté là où il y des fondamentalistes religieux et des mercenaires, ce n’est pas se tromper d’analyse, c’est se tromper tout court.

    Personnellement, je n’irai pas défiler pour qu’un pays se retrouve aux mains d’escadrons de la mort comme en Irak, ou que soit appliquée la charia comme en Libye.

    Je suis peut être un suppôt de Bachar El Assad, mais je pense que les peuples sont plus heureux quand ils ont la sécurité, la santé, l’éducation, un minimum garanti que quand ils se retrouvent terrorisés, pillés, violés, et revenus des centaines d’années en arrière, même au nom des droits de l’homme !

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  • Il est urgent que la France s’engage aux côtés du peuple syrien Le 25 novembre 2012 à 14:27, par Autre réaction

    Je comprends, en tant que communiste, la réaction précédente. La situation est à mon avis plus compliquée que celle décrite par Jack Ralite.

    Mais les massacres dont il est question sont des réalités.

    L’impérialisme souhaite peut être le départ d’Hassad,
    et le risque islamiste est réel.

    Mais il arrive quelquefois que les volontés des peuples
    correspondent aux volontés de l’impérialisme, et c’est bien là le problème.

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  • Il est urgent que la France s’engage aux côtés du peuple syrien Le 25 novembre 2012 à 17:02, par futur passager du train pour Strasbourg

    Le dernier paragraphe "Réaction" est surprenant : C’est en ce moment que les syriens sont "terrorisés, pillés, violés" et qu’ils n’ont plus la sécurité (c’est le moins qu’on puisse dire...)

    Pour répondre à "Autre réaction", ce qui est surtout compliqué, c’est : quoi faire ?

    - ne rien faire et laisser les syriens se faire massacrer.

    - des sanctions économiques vont faire souffrir encore plus les syriens.

    - livrer des armes risque d’armer les djihadistes.

    Enfin, je ne suis pas certain que les impérialistes veuillent se débarrasser d’El Assad, vu l’équilibre très instable dans cette région du monde, entre la Syrie, la Turquie, Israël, l’Irak et l’Iran.

    Compliqué, oui ; ne rien faire NON !

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  • Il est urgent que la France s’engage aux côtés du peuple syrien Le 28 novembre 2012 à 15:13, par Réaction

    On pourrait commencer par demander à la France qui "aide" les "rebelles" d’arrêter de s’ingérer dans les affaires intérieures d’un pays souverain.

    On pourrait arrêter de mettre sur le même plan un Etat qui réagit à une tentative de coup d’Etat et les soi-disant rebelles, armés et conseillés par les services secrets US, européens et israéliens.

    On pourrait se demander comment la "rébellion" syrienne fait pour se procurer des armes, elle qui soi disant ne reçoit rien de personne, surtout pas de la Turquie, des Emirats, de l’Arabie Saoudite, des Etats-Unis, de la France, etc.

    On pourrait exiger de nos médias qu’ils donnent une vision juste de la situation sur place en ne restant dans leurs hôtels libanais d’où ils répercutent leurs informations à partir des communiqués distillés par le pseudo Observatoire des droits de l’homme syrien lui-même basé à Londres.

    On pourrait demander la présence de missions indépendantes pour déterminer qui fomente réellement des attentats meurtriers contre la population syrienne.

    On pourrait demander aux Etats-Unis responsables de milliers de morts irakiens, qui restent présents grâce aux milices privées US, de quitter la région plutôt que d’allumer un second feu en Iran. On pourrait même exiger qu’ils passent devant la justice internationale pour répondre de leurs crimes.

    Il y a plein de choses à faire avant de servir de relais idéologique à l’impérialisme. Mais cela demande peut être du sens critique, tout simplement.

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  • Il est urgent que la France s’engage aux côtés du peuple syrien Le 1er décembre 2012 à 10:18, par Anti-impérialiste conséquent

    La France doit rompre avec sa tradition colonialiste et impérialiste et cesser de s’ingérer militairement, politiquement et économiquement dans les affaires intérieures d’autres peuples au Moyen Orient.

    Tel est le titre du communiqué du collectif Polex Rouge Vif qui rassemble des communistes anti-impérialistes et dont les analyses sont consultables sur leur site

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