Jack Ralite : « Nous sommes en démocrature »

article paru dans l’Humanité du 26 juin 2008

samedi 28 juin 2008

Quel jugement portez-vous sur le travail mené par la commission Copé, que vous avez quittée début juin ?

Jack Ralite. C’est un exemple type de la dérive que connaît aujourd’hui la démocratie. On réunit des gens, on dit qu’ils sont compétents et on leur donne une tâche qui appartient normalement aux forces démocratiques, syndicales, culturelles, et cela aboutit à ce pourquoi cela a été conçu. C’est-à-dire à un texte qui n’a ni queue ni tête.

Dans ces commissions, on sent peser le poids des lobbys mais on ne sent plus intervenir le poids de la délibération démocratique. Et ces commissions naissent les unes après les autres de la volonté du souverain dans ses élans désordonnés, de ses désirs, de son envie de provoquer la nation tout entière. On a le résultat qu’on pouvait atteindre : on n’a pas de résultat ! Sinon d’avoir déstabilisé le service public de l’audiovisuel.

Tous les commentaires sont unanimes pour dire : ça ne fait pas le compte et c’est tragique. France Télévisions n’a aucune visibilité concrète de son financement immédiat et avenir, à un niveau suffisant et pérennisé. En quelque sorte, on fait entrer France Télévisions dans une période de mort lente. La chose la plus évidente c’est qu’au moment où le texte de la commission dit, une idée intéressante, qu’il faut passer au global média - ce que la maison avait du reste déjà entrepris - il faut qu’il puisse exister statutairement.

À ce propos, la décision allemande qui considère qu’il n’y a plus de service public sur l’Internet est immensément grave. En fait, le texte diminue les protections du service public tel qu’il était et il l’empêche de pénétrer dans le domaine fabuleux des inventions humaines qui lui permettrait d’aller plus loin.

Qu’on le veuille ou non, le rapport est en faveur du privé contre le secteur public. C’est tout de même fort, alors qu’il ne trouve pas la somme dnécessaire pour compenser la suppression de la publicité, il annonce toute une série de mesures qui donnent de l’argent au secteur privé. Il tente de verrouiller. Mais hélas !, il manque, en face, les mains rassemblées. Chaque individualité interrogée dit : « Ce n’est pas possible. » Mais le « NOUS » qui les réunirait est encore balbutiant pour défendre ce grand outil de culture, d’information et de distraction qu’est la télévision, qui permet d’écouter parler français individuellement plus de trois heures par jour. Il devrait être l’objet de tous les soins.

Vous parlez de verrouillage ?

Jack Ralite. « On peut bien avec un gouvernement démocratique devenir violent et cruel » à certains moments, écrivait Tocqueville. Il me semble que nous y sommes. Il ajoutait : « Le souverain étend ses bras sur la société tout entière, il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule. Il ne brise pas les volontés, il les amollit, les plie et les dirige (…) Il force rarement d’agir mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse. Il ne détruit point, il empêche de naître. Il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux dont le gouvernement est le berger » (1).

Je trouve que cette phrase de Tocqueville, passionné par les questions de despotisme en démocratie, correspond bien à la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Il est tout de même incohérent de rendre au privé de l’argent privé qui venait au public.

Nous sommes passés d’un coup d’éclat, le 8 janvier, à un coup d’État, le 25 juin. C’est un mensonge d’État que d’avoir promis que la situation serait meilleure pour le service public alors qu’en vérité, on ne met pas les moyens pour que cela devienne meilleur. Le 8 janvier, nous étions en démocratie, le 25 juin, nous sommes en « démocrature ».

Vous pensez au mode de gouvernance ?

Jack Ralite. On crée un organisme unique, après tout pourquoi pas, à condition qu’il n’ait pas de défaut. Mais là, il a justement un défaut qui le fera exploser à chaque instant : sur treize membres, il y aura huit membres représentant le monde de l’entreprise dans le conseil d’administration ! Il n’y a pas assez de sous pour le service public et on en donne au privé, L’Europe va corriger pour le cas où on se laisserait aller à certaines taxes. Il y a une coalition des grands intérêts. Il faudrait que l’on soit assez fort pour mener ce travail de démocratie, d’humanité, de culture, immense et enthousiasmant à faire.

Aujourd’hui, l’intérêt de tout le monde est, sans corporatismes, de réunir. Il ne faut surtout pas avoir des retards d’avenir.

(1) De la démocratie en Amérique (1835-1840).

Entretien réalisé par Claude Baudry

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