Indépendances africaines ?
dimanche 11 juillet 2010
Plusieurs messages postés sur le « Mégaphone » ont exprimé de la colère à propos du fait que la soirée du 13 juillet soit placée sous le symbole des « indépendances africaines » dont Nicolas Sarkozy entend célébrer le cinquantenaire.
L’affaire est incontestablement sérieuse et témoigne une nouvelle fois de la volonté de réviser l’histoire. Que la majorité municipale ait foncé tête baissée dans le piège relève a minima de l’ignorance historique bien que l’affiche cocardière éditée pour l’occasion ne plaide guère en ce sens.
Essayons très brièvement mais avec sérieux d’exposer ce qui s’est joué en 1960.
L’empire colonial français en Afrique subsaharienne comprend deux grands ensembles qui proviennent essentiellement du découpage colonialiste de l’Afrique réalisé en 1884-1885 lors d’une Conférence de brigandage impérialiste réunie à Berlin :
l’Afrique occidentale française qui fédère depuis 1895 huit colonies (Mauritanie, Sénégal, Soudan français/Mali, Guinée, Cote d’Ivoire, Niger, Haute Volta/Burkina, Dahomey/Bénin)
– l’Afrique équatoriale française qui fédère quatre colonies (Gabon, Moyen Congo, Tchad, Oubangui-Chari)
S’ajoutent à ces deux ensembles :
le Cameroun, ancienne colonie allemande placée sous la tutelle des Nations-Unies en 1918, tutelle confiée de fait à la France et à la Grande-Bretagne ;
le Togo ancien protectorat allemand placé sous tutelle des Nation-Unies en 1918 ; tutelle exercée de fait par la France et la Grande-Bretagne ;
Madagascar envahie militairement en 1895 ;
l’ile de La Réunion.
Il s’agit donc d’une réalité géographique et humaine importante.
Réviser l’ordre colonial
Au sortir de la Seconde guerre mondiale, l’ancien ordre colonial a été quelque peu révisé. Au Liban et en Syrie le double protectorat franco-britannique s’est défait au profit de la Grande-Bretagne et en Indochine se sont allumés les premiers feux de l’aspiration à l’indépendance.
Dès avant la fin de la guerre, du 30 janvier au 8 février 1944, une réunion regroupant une trentaine de hauts fonctionnaires impériaux et neuf membres de l’Assemblée consultative d’Alger s’est déroulée à Brazzaville en présence du général de Gaulle alors chef du gouvernement provisoire. Une vaste historiographie gaulliste existe qui fait de cette conférence une amorce de la décolonisation, issue de l’esprit visionnaire du général. Les « Recommandations » adoptées à Brazzaville sonnent d’une toute autre manière : « Les fins de l’œuvre de civilisation accomplie par la France dans les Colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’Empire ; la constitution éventuelle même lointaine, de self-governments dans les Colonies est à écarter ».
Ceci dit la conférence de Brazzaville ne saurait être réduite à une réaffirmation de l’éternité coloniale. Roosevelt avait fait récemment entendre des propos anticolonialistes, au demeurant non dénués d’arrière-pensées que Brazzaville ne pouvait ignorer. Quelques mesures furent donc prises qui témoignaient de l’engagement d’un réformisme colonial qui allait progressivement s’affirmer dans les années 1950 et que de Gaulle avait résumé dans une formule dépourvue d’ambiguïté : « Etablir sur des bases nouvelles les conditions de la mise en valeur de notre Afrique ».
C’est d’ailleurs d’un esprit semblable que s’inspira, un an plus tard, la déclaration gouvernementale sur l’Indochine.
En 1945 et 1946 de nombreux décrets furent pris qui eurent beaucoup d’importance pour la vie quotidienne des masses colonisées (abolition du système de pénalités administratives imposées aux « indigènes », reconnaissance de la liberté d’association, abolition du travail forcé, reconnaissance de la liberté de réunion, création d’un Fonds d’investissement pour le développement économique et social…).
Ces mesures, prises dans un contexte politique favorable aux forces progressistes, laissaient irrésolue la question du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de la libre association avec la France que soutenaient les seuls communistes. Il résulta des confrontations politiques de la période une construction politique dite Union française qui fut inscrite dans la deuxième version constitutionnelle lors du referendum du 13 octobre 1946.
L’organisation institutionnelle, créée par une loi-cadre en 1956 (dite loi-cadre Deferre), témoigne de la persistance de la démarche : une manière d’autonomie interne est instituée, une assemblée territoriale est élue au suffrage universel qui désigne à son tour un Conseil de gouvernement dirigé par un vice-président, le gouverneur français restant avec le titre de président du Conseil de gouvernement le représentant de la France et le chef des services territoriaux.
Ainsi, deux ans après la débâcle indochinoise et alors que la guerre embrase l’Algérie, le schéma colonialiste nourrit toujours les constructions politiques.
Le retour au pouvoir du général de Gaulle en mai 1958 marque l’entrée dans une nouvelle période. De Gaulle sait la situation en Algérie inextricable. Certes les indépendances arrachées en 1955-1956 au prix du sang par la Tunisie et au Maroc ont désamorcé l’embrasement possible du Maghreb mais les colonies de l’Afrique subsaharienne peuvent d’autant plus s’engager dans une confrontation violente avec la France que des forces progressistes non négligeables se font entendre, notamment en Guinée et au Sénégal.
Bien sûr les colonialistes et les réformistes manœuvrent pour disloquer ce danger et parviennent à affaiblir la puissance montante du Rassemblement démocratique africain que dirige le guinéen Sékou Touré [1]. Dans le même temps la France s’engage dans une confrontation armée avec l’Union des populations du Cameroun.
C’est dans ce contexte que de Gaulle construit son projet de Constitution qu’il soumet à referendum le 28 septembre 1958. Le texte de la Constitution concerne la France et ce qui est appelé « la Communauté » autant dire qu’il est soumis au vote des populations des 13 possessions africaines. Ce vote est considéré avoir valeur de vote pour ou contre l’indépendance.
La Guinée est la seule à rejeter le texte (636 000 voix contre 18 000) et est dès lors considérée comme indépendante, comme un état étranger plutôt. Toutes les relations sont coupées avec elle [2].
De fait, le fédéralisme communautaire institué en septembre 1958 demeurera pour l’essentiel sur le papier. En effet, à peine la Communauté formée, le sénégalais Léopold Senghor et le soudanais Modibo Keita annoncent leur intention de constituer une République du Mali qui voit d’ailleurs le jour à Dakar le 17 janvier 1959. En septembre les dirigeants du nouvel État réclament l’indépendance sans rupture avec la Communauté.
Après avoir hésité de Gaulle, choisit de sauver les meubles en adaptant la Communauté, autrement dit le statut des États membres. Il faut agir d’autant plus vite que Madagascar revendique à son tour l’indépendance.
Des accords franco-malien puis franco-malgaches sont négociés qui font passer la communauté du statut de fédération à celui de « communauté contractuelle » selon l’expression de Léopold Senghor. Il est désormais impossible de refuser aux autres États ce qui vient d’être accordé aux maliens et aux malgaches.
Au cours de l’année 1960 des accords transférant aux États les compétences communautaires sont signés, les indépendances proclamées, les nouveaux États indépendants admis à l’ONU et des textes instituant une coopération avec la France paraphés. Les institutions communautaires qui ont perdu toute signification disparaissent en 1961 [3].
Désormais les relations de la France avec les nouveaux États indépendants d’Afrique sont régies par les principes du droit international et dépendent du ministère des Affaires étrangères. Cependant des accords de coopérations (gérés par le ministère de la Coopération) établissent des liens privilégiés entre la France et ses anciennes colonies. Des accords d’assistance militaires sont signé dont les clauses sont souvent tenues secrètes. Un secrétaire général pour la Communauté et les Affaires africaines et malgaches est constitué auprès du président de la République. Jacques Foccart entame une longue carrière africaine visant à établir l’ancien Empire colonial comme une zone d’influence française.
Les instruments et méthodes d’une politique néocoloniale vont être progressivement installés. La présence française en Afrique se consolide. Les intérêts économiques généraux et ceux plus particuliers des firmes grandes ou moins grandes sont préservés, l’ingérence militaire est constante, pire, ce que l’on appelle la Françafrique s’est installé comme un système de brigandage.
La lutte contre le néo-colonialisme et les impérialismes doit se poursuivre en conséquence.
André Narritsens
NdMT : Les plus motivés pourront participer à la manifestation sur le thème "
50 ans de Françafrique, ça suffit !", soutenue par le MRAP, Les Alternatifs, NPA, la FASE, le PCF et Les Verts. Rendez-vous le 13 juillet à 18h, place de la République.
Notes
[1] François Mitterrand parvient ainsi à détacher l’Ivoirien Houphouët-Boigny des relations avec le PCF.
[2] De Gaulle laisse sans réponse un message de Sékou-Touré demandant l’association avec la Communauté au titre de l’article 88 de la Constitution.
[3] De Gaulle a tenté de faire subsister la Communauté en faisant ajouter le 4 juin 1960 un alinéa à l’article 86 de la Constitution qui indique : « Un État membre de la Communauté peut également, par voie d’accords, devenir indépendant, sans cesser de ce fait d’appartenir à la Communauté ».
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