Emile Dubois/Maladrerie : le quartier doit bouger avec ses habitants

jeudi 8 juillet 2010

Dans l’éditorial du n°77 (juin 2010) de Cités, le magazine de l’OPH d’Aubervilliers, M. Lanternier se félicite d’avoir obtenu du Préfet des crédits qui permettront de résidentialiser l’ilot Daquin et de réhabiliter les logements qui s’y trouvent. Il indique d’autre part que 4 millions d’euros de crédits en provenance de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) [1] sont en passe d’être obtenus qui permettront « d’engager, entre autres, la réhabilitation des immeubles d’Emile Dubois et de la Maladrerie ».

Aubermensuel, dans sa livraison de juillet-août 2010, en rajoute dans l’optimisme en légendant une photographie accompagnant un compte rendu assez énigmatique du conseil municipal du 23 juin « Réfection des terrasses de la Maladrerie… ». Point sur le dossier.

Pour la clarté de l’exposé, nous distinguerons, après une rapide présentation « historique » générale et un bref état de la capacité d’action de l’OPH, les trois composantes du dossier : la résidentialisation/réhabilitation de l’ilot Daquin, la cité de la Maladrerie, la cité Emile Dubois.

1 – Historique du dossier

En février 1999 Josette Dupuis et Pascal Beaudet informaient le bureau municipal de la mise en œuvre d’un travail de diagnostic des acteurs sociaux du quartier Maladrerie/Emile Dubois. Il s’agissait de réaliser un diagnostic partagé par les habitants, les services municipaux et publics, les élus du quartier ; de conforter les acteurs sociaux dans leurs interventions ; d’enclencher un processus d’élaboration et de propositions collectives.

Cette démarche devait bientôt se traduire par une vaste consultation, la réunion de nombreux ateliers thématiques et la formulation d’objectifs d’évolution du quartier. Le Collectif d’habitants réalisait de son côté des Rencontres pour l’avenir du quartier en janvier 2001.

Une des conséquences de cette démarche démocratique fut l’élaboration d’un projet de rénovation mais celui-ci réalisé par le cabinet Daune ne fut pas accepté par les habitants car ne correspondant pas à leurs propositions.
Pascal Beaudet, prit acte du fait et un nouveau projet fut élaboré qui sans susciter un fort enthousiasme fut accepté dans ses grandes lignes. Ce projet se situait sous la logique d’un financement de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU), autrement dit se traduisait par des démolitions/reconstructions. La cité Emile Dubois était concernée par ce processus, ainsi qu’à la Maladrerie l’ilot Daquin.

Autrement dit 90% de la Maladrerie échappait à toute intervention.

En raison des péripéties survenues lors de la réalisation du projet de rénovation urbaine, la présentation du dossier à l’ANRU avait été différée et ne put, en définitive se faire qu’en décembre 2008. Le dossier présenté à l’ANRU ne concernait que la cité Emile Dubois et l’ilot Daquin.

L’ANRU a refusé de financer ce projet à l’exception des opérations prévues sur l’ilot Daquin qui semble t’il bénéficieront de crédits déconcentrés de l’ANRU gérés par la Préfecture.

La question du financement des opérations sur la cité Emile Dubois et sur la cité de la Maladrerie est donc posée hors contribution de l’ANRU. Nous allons examiner les problèmes qui se posent à ce propos dans les développements qui suivent.

2 – La situation financière de l’OPH et sa capacité d’action

Au début de la décennie 1990 l’OPH a rencontré une situation financière très difficile qui n’a pu être surmontée que grâce aux aides obtenues de la CGLLS durant les périodes 1992-1996 et 2000-2004. Ces deux plans ont permis à l’OPH de rétablir sa situation financière sans pour autant lui permettre de dégager des marges financières pour couvrir les besoins de réhabilitation de son patrimoine ainsi que de constructions nouvelles.

Cette situation a conduit l’OPH s’adresser à nouveau à la CGLLS pour obtenir un soutien financier qui lui permettra d’engager les investissements nécessaires pour assurer ou rétablir la qualité de l’habitat.

Le 23 juin 2010, la Conseil municipal a été amené à se prononcer sur cette démarche intitulée « Protocole de consolidation de l’OPH d’Aubervilliers, années 2009-2014 ».

L’objectif est de consolider la viabilité de l’OPH fragilisé par la réalisation d’un programme patrimonial indispensable au maintien et à l’amélioration de la qualité de son parc locatif. Le Protocole établit les conditions de versement de l’aide de la CGLLS ainsi que le montant de celle-ci : 3 900 000 €.

Cette aide, pour n’être pas négligeable, doit être rapportée aux dépenses prévues pour la période 2009-2014 qui paraissent s’établir à 139 000 000 € [2].

Les financements complémentaires (135 000 000€) sont assurés par : les subventions de la ville (1 500 000€), de Plaine commune (8 742 000€), de la Région (14 426 000€), du département (949 000 €), de l’Etat (2 367 000€), de l’ANRU (9 898 000€) et surtout par les fonds propres de l’OPH (23 300 000€) et des emprunts (77 900 000€).

3 – L’ilot Daquin

L’ilot Daquin qui comprend 104 logements et deux équipements publics (le centre Renaudie et le Centre d’arts plastiques) est situé entre la rue Lopez-et-Jules Martin et la rue G. Leblanc. L’état des extérieurs est extrêmement dégradé, la saleté est endémique et au moins un vingtaine de logements est squattée. Une situation de mini ghetto s’est installée.

La résidentialisation (autrement dit essentiellement l’installation de grilles sur le pourtour de l’ensemble immobilier à laquelle s’ajouteront quelques réaménagements des extérieurs ainsi que des restructurations des halls) coutera 1 884 000 €.

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Projet de résidentialisation de l’Îlot Daquin

La réhabilitation s’entend quant à elle comme remise aux normes de l’étanchéité et réalisation du ravalement + restructuration de douze logements et pour les 92 logements restants remplacement du tableau électrique, travaux de plomberie et remplacement des portes palières. Le coût de la réhabilitation s’élève à 2 750 000 euros.

Sources de financement (en €) :

Source de financement Résidentialisation Réhabilitation
ANRU 520 000 687 559
Région 83 200 156 000
Plaine commune 196 270 275 023
Fonds propres de l’OPH 1 163 231 1 631 652
Total 1 962 701 2 750 234

Il convient de noter qu’aucune concertation n’a véritablement eu lieu sur le projet concret de résidentialisation. De plus, interpellés à de nombreuses reprises sur la question des occupations illégales de logements sociaux ni le maire ni le président de l’OPH n’ont jamais répondu. Non seulement ils n’ont mené aucune action significative pour récupérer les logements illégalement occupés mais ils se satisfont du non paiement quasi généralisé des indemnités d’occupations. Brefs ils tolèrent les squats et sont de ce fait complices de la situation existante. Aujourd’hui ils envisagent la réhabilitation/résidentialisation alors que la question des squats n’est toujours pas résolue et M. Lanternier va jusqu’à écrire dans l’éditorial du n° 77 de Cités que « les travaux (…) vont pouvoir démarrer pour apporter un cadre de vie agréable aux locataires (nous soulignons) de Daquin et à leurs voisins » !

Cerise sur le gâteau, une notice de l’OPH présentant les « principes du projet » indique que sera réalisée la mise en peintre des porches du rez-de-chaussée, avec couleurs différenciées suivant la destination et les entrées ». Pourquoi pas mais que va-t-il advenir des très belles peintures réalisées autrefois par Henri Guédon qu’il faut sauvegarder et qui paraissent n’intéresser ni le maire ni le président de l’OPH.

Or les travaux devraient commencer en novembre prochain…

4 – La Maladrerie

La cité de la Maladrerie comprend 893 logements, dont 104 situés dans l’ilot Daquin. L’OPH déclare avoir décidé de réaliser une opération de résidentialisation généralisée en… 2011 et d’engager à compter de cette même année et jusqu’en 2014 la réhabilitation complète de la cité.

Le prix de revient de l’opération de résidentialisation (qui concerne 789 logements) s’élèverait à 520 000€ (provenant des fonds propres de l’OPH) alors que, rappelons-le, le coût de la résidentialisation de l’ilot Daquin (104 logements) s’élève à 2 861 000€.

Nous voilà donc plongés dans un mystère d’autant plus grand que la piste de la résidentialisation n’a jamais fait l’objet de la moindre concertation avec les habitants et que les opinions sont très partagées sur son principe. Nous avons à faire pour le moment à une construction complètement bureaucratique.
S’agissant de la réhabilitation de la cité (qui en a bien besoin) le coût de l’opération est aujourd’hui estimé à 13 000 000 €, soit près de deux fois plus qu’une précédente estimation. De deux choses l’une : ou bien ces chiffres ne sont pas sérieux ou bien le second traduit l’ambition d’une réhabilitation de plus grande envergure. En tout cas l’opération sera essentiellement financée sur les fonds propres de l’OPH (20%) et par l’emprunt (60%), la région et la ville apportant le financement complémentaire à égalité de charge.

En tout cas, comme pour la résidentialisation, les locataires n’ont pas été consultés et sont tenus dans l’ignorance complète des projets de l’OPH.

5 – Emile Dubois

La cité Emile Dubois comprend 768 logements répartis sur cinq barres et huit petites tours de huit étages maximum. La cité a été construite entre 1957 et 1959 et a connu une rénovation partielle il y a une quinzaine d’années.
L’évolution de la cité a fait l’objet il y a maintenant plus de cinq ans d’une importante concertation avec les habitants qui avait nourri les grandes lignes du projet enfin déposé en décembre 2008 à l’ANRU.

L’ANRU ayant décidé de ne pas financer le projet, l’OPH envisage une intervention lourde à partir de financements dits de « droit commun », autrement dit hors ANRU.

Cette intervention doit se traduire par des démolitions (121 logements situés 4, 5 ,6 et 38 allée Charles Grosperrin, 27, 31, 34 et 35 allée Rabot), des constructions (237 logements dont semble t’il une majorité en accession à la propriété) [3]. Compte tenu de l’augmentation du nombre de logements, le nombre de logements sociaux ne devrait pas reculer. Mais il n’en demeure pas moins que l’on va assister à une très forte densification de la population du quartier déjà très compact.

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Cité Émile Dubois : hypothèse d’évolution

On notera également que le camembert commercial doit disparaitre et être remplacé par un linéaire de commerces (avec des logements à l’étage) le long de l’avenue Jean Jaurès . Le rythme de réalisation de ces opérations demeure très incertain, l’hypothèse d’un étalement jusqu’en 2014 est pour l’heure retenue.

En avant-garde de tout cela, les travaux de restauration des sanitaires de la cité commenceront semble t’il à l’automne prochain pour un montant de 2 050 000€ [4].

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Cité Émile Dubois : vue d’ensemble

Nous entrons d’évidence dans une phase d’action et nous ne nous en plaindrons pas compte tenu de l’état alarmant dans lequel se trouvent nos cités. Mais des mois qui viennent de s’écouler une leçon doit être tirée : rien ne se réalisera sans l’information des habitants et la discussion démocratique. Cela suppose que la direction de l’OPH déserte la tour d’ivoire dans laquelle elle est enfermée, qu’elle provoque la discussion avec les locataires et plus généralement avec les habitants. Les constructions imaginées sont financièrement fragiles. Les projets d’évolution du quartier qui n’étaient pas « terribles » ont évolué au gré des circonstances. Au cours de ces deux dernières années on a oublié les habitants. Il n’est que temps de retrouver le chemin du dialogue et d’accepter la critique constructive.

André Narritsens

Notes

[1La vocation de la CGLLS est d’assurer la pérennité des organismes du logement locatif social. Ainsi, lorsqu’un organisme rencontre des difficultés financières ne lui permettant plus d’assumer pleinement sa mission de bailleur social, il sollicite l’aide de la CGLLS Les ressources de la CGLLS sont assurées par les cotisations versées par les organismes du logement locatif social. Outre son expertise financière pour analyser les causes des difficultés de l’organisme et négocier des solutions pour y remédier, la CGLLS contribue au financement du plan d’aide sous forme de subvention et/ ou de prêt.

[2Les documents financiers publiés par l’OPH et la CGLLS sont très mal présentés, usent abondamment d’une langue de bois « technique » et sont en conséquence de lecture difficile. D’où la prudence de mon propos concernant le chiffrage.

[3Il est difficile, d’y voir clair à ce propos dans les intentions de l’OPH, plusieurs hypothèses, parfois très éloignées l’une de l’autre ont circulé.

[4Les 84 logements situés 39-42 allée A. Girard sont également concernés par une réfection des sanitaires (coût 1 227 000€).

1 Message

  • Emile Dubois/Maladrerie : le quartier doit bouger avec ses habitants Le 10 juillet 2010 à 09:46, par Encore des augmentations de loyer ?

    2 questions : à la lecture de l’article, je constate que le gros des travaux est assuré par l’office HLM, c’est à dire concrètement par les locataires qui risquent de subir des augmentations. Les financements publics, notamment de l’Etat restent très limités, et s’ils permettent de débloquer l’opération nécessaire, l’Etat ne tient pas sa place pour garantir un droit au logement décent pour tous.

    2ème question : si l’office est amené à emprunter et prendre sur ses fonds propres, de quelle marge va-t-il bénéficier pour construire les logements nécessaires à la population. Je croise régulièrement des jeunes qui parfois en couple ou/et avec des enfants sont encore chez papa maman alors qu’ils demandent un logement depuis des années.

    Je sais bien que Madame Yonnet se répand partout en disant que la population d’Aubervilliers doit changer et va changer pour apporter plus de mixité mais la réalité est autre. car les plus modestes restent dans leur gourbit et ceux qui connaissent une petite ascension sociale, grace à un travail notamment, ne peuvent pas se loger, et ce sont eux qui partent.

    Il ne s’agit pas de faire du HLM pour du HLM mais de permettre aux gens de trouver un trois pièces pour moins de 900 euros par mois. On a besoin d’un service public du logement qui donne ces perspectives. J’ai signé la pétition du parti communiste pour la construction de 50000 logements par an en Ile de France, parce que c’est le seul moyen avec un service public du logement de sortir de la loi du marché dans un domaine vital.

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