
Hommage à Suzanne Martorell du 8 février 2010
mardi 9 février 2010
Lundi 8 février, une cinquantaine d’habitants d’Aubervilliers se sont rassemblés en hommage à Suzanne Martorell, cette habitante d’Aubervilliers assassinée par la police au métro Charonne lors de la manifestation du 8 février 1962.
Dans son allocution, Jean Jacques Karman a rappelé les circonstances de cette tragédie : la sale guerre en Algérie déclenchée en 1954, aggravée par l’envoi du contingent et l’utilisation de la torture contre les patriotes algériens, le climat de violence entretenu en France par les attentats de l’OAS, jusqu’à la répression de la manifestation du 8 février 1962 où Suzanne Martorell et huit autres manifestants (parmi lesquels sept communistes) ont trouvé la mort.
Tony Dreyfus, député socialiste de Paris, a rappelé l’importance des manifestations populaires pour la paix en Algérie, soulignant le rôle de premier plan de la CGT et du Parti communiste. Il a déploré l’absence des dirigeants de la SFIO dans ces grandes manifestations.
Sont ensuite intervenus le maire-adjoint Abderahim Hafidi, qui a rappelé que la guerre d’Algérie a laissé son empreinte dans la mémoire collective, puis le maire Jacques Salvator a clôturé la commémoration par une courte intervention.
La présence d’une assistance importante chaque année à cette commémoration démontre une fois de plus l’attachement des habitants d’Aubervilliers à leur passé de luttes et de combats.
Caroline Andreani
Allocution de Jean-Jacques Karman
« Mesdames, Messieurs,
Nous sommes réunis aujourd’hui pour rendre hommage à Suzanne Martorell qui fut assassinée le 8 février 1962, au métro Charonne par les forces de police, lors d’une manifestation pour la paix en Algérie, pour la conclusion positive des négociations avec le GPRA, contre le fascisme et les crimes de l’OAS.
Cet hommage s’adresse aussi à ses huit camarades, massacrés à ses côtés à coups de crosses de fusils, de « bidules » et des plaques en fer de tours d’arbres d’environ 40 kg projetées par des policiers à l’entrée de la station de métro Charonne. Les neuf étaient tous membres de la CGT et huit d’entre eux, membres du Parti Communiste Français.
Suzanne Martorell avait trois enfants. Communiste, elle travaillait à la CERP, une annexe du journal L’Humanité. Je me souviens de cette manifestation, de cette gravité, de cette violence et dans le quartier, les jours qui suivirent, de l’émotion de tous. A l’angle des rues Cochennec et Pont Blanc, les communistes du quartier avaient tendu une banderole qui disait que Suzanne Martorell avait été tuée par la police. Les habitants, et en particulier le gardien de la cité, Monsieur Paupy, un communiste rescapé des camps de concentration nazis, s’opposèrent physiquement aux policiers venus décrocher la banderole.
Le soir de la manifestation, plusieurs militantes et militants du quartier furent matraqués au métro Charonne, comme ma mère, et plus sévèrement madame Renaudat, qui en perdit l’usage de la parole.
Non, ils ne sont pas morts pour rien ! Personne n’a le droit de réécrire l’histoire de ces évènements. Par respect pour leur engagement, il faut dire toute la vérité sur cette période, rappeler les circonstances et le sens de leur action à ce moment dramatique de l’histoire des peuples d’Algérie et de France. C’était des femmes et des hommes, dont un jeune de 16 ans, Daniel Ferry, qui luttaient pour la paix, la liberté, pour un monde meilleur.
Cette période dramatique commence en réalité le 2 janvier 1956. Les forces de gauche sont majoritaires dans le pays, lors des élections législatives. Le socialiste Guy Mollet dirige le gouvernement sans les communistes, pourtant arrivés premiers. Guy Mollet, alors qu’il avait promis la paix en Algérie pendant la campagne électorale, fait le contraire une fois au pouvoir et enfonce le pays dans la guerre en envoyant le contingent en Algérie.
En 1958, le pays est au bord de la guerre civile. Par un coup d’État, De Gaulle revient au pouvoir. Guy Mollet, par anticommunisme, et avec lui d’autres socialistes, comme le sinistre Max Lejeune, rejoignent De Gaulle dans son gouvernement.
Dans cette période, les communistes ne sont pas seuls. La CGT, la CFTC, la FEN sont présents. L’UNEF, dont le camarade Tony Dreyfus présent aujourd’hui, est l’un des dirigeants, mobilise grandement chez les étudiants. Mais le Parti Communiste Français fournit le gros des cortèges de manifestants.
Michel Debré, le père des faux jumeaux, est premier ministre, Roger Frey est ministre de l’Intérieur et l’horrible Maurice Papon est préfet de police. C’est le même qui, sous Pétain et Laval, s’appliqua à déporter nombre d’hommes, de femmes et d’enfants juifs dans les camps de la mort.
Et bien c’est le même encore qui le 17 octobre 1961 et le 8 février 1962 à Paris organisa sur ordre les deux massacres qui font honte à la république française, Il n’a jamais été jugé car il a été amnistié en 1966.
L’OAS frappait en plein Paris. Après le massacre d’État du 17 octobre où des centaines de travailleurs algériens furent tués, d’autres sont assassinés en pleine rue. En décembre, un communiste qui monte la garde au comité central du PCF, 44, rue Le Pelletier, est abattu à coups de fusil. Je me souviens de la manifestation de protestation de décembre 61 qui fut fortement réprimée avec des dizaines de blessés. Début 1962, c’est l’escalade. Une tentative d’attentat est déjouée de justesse en pleine cité du Pont Blanc, devant le domicile d’André Karman. Des intellectuels communistes sont gravement blessés par ces attentats. La petite Delphine Renard est défigurée par une explosion.
En tant que communistes, dans la soirée du 8 février 62, c’est contre tout cela que Suzanne Martorell et ses camarades ont dit NON, au péril de leurs vies. 48 ans après ce crime, nous devons obtenir de la République française quelle reconnaisse ces meurtres et porte réparation envers les familles. Souvenons-nous, par exemple, que François Mitterrand a bien rétabli dans les années 80, les généraux factieux de l’OAS dans leurs droits de carrière et de retraite. »
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