Stratégies de "réforme" - 3ème partie

dimanche 22 novembre 2009

NdMT : Cet article fait suite aux articles :
- Stratégies de "réforme" - 1ère partie
- Stratégies de "réforme" - 2ème partie

4 – « réformes »/issue révolutionnaire

Réformer telle est désormais l’antienne servie chaque jour ou presque. Nous voici bien loin des âpres débats internes au mouvement ouvrier qui se déroulaient à propos des voies de la transformation sociale. La puissance et l’impertinence de l’usage du mot s’enracine de fait dans la liquidation de ce qui a été une recherche de transformation sociale. Non seulement la réaction entend prospérer sur les décombres d’une expérience historique mais elle avance sous le drapeau du changement. Elle entend dire que la société doit en permanence s’adapter, évoluer. Mais s’adapter à quoi, évoluer vers quoi ? Vers les horizons radieux que laissent entrevoir les principes de la concurrence libre et non faussée au demeurant quelque peu malmenés par la crise systémique que nous traversons mais qui doivent être sauvegardés pour l’essentiel. La stratégie de « réforme » que développe aujourd’hui la réaction est, à y regarder d’un peu près, assez grossière. Elle consiste en un détricotage méthodique des constructions et régulations sociales en place depuis plus d’un demi-siècle. Elle s’attaque aussi à des sujets sociétaux, se confronte à des questions nouvelles auxquelles elle apporte des réponses placées sous la ligne immuable des dogmes capitalistes. Tel est le cas des questions de l’écologie et du développement. Questions immenses. Elle se fonde parfois sur des aspects un peu vieillis des systèmes ou régulations existants, elle bénéficie souvent de l’appui des règles de droit européennes qui prônent des principes de libéralisme outrancier. Mais elle s’appuie aussi sur une capacité à capter une certaine aspiration au changement et fait passer les contre-réformes en disant que ce sont des « réformes ».
Le mot « réforme » qui avait, au fil du temps, pris la signification d’avancées positives se réduit à une capacité d’adaptation au marché dont les logiques sont inéluctables. La « réforme » peut s’identifier à des régressions. Les exemples sont innombrables. Je n’insiste pas.

Du côté des forces de transformation sociale, le mot est-il encore d’usage possible ? Et si oui dans quel sens, dès lors que l’on n’oublie pas le but révolutionnaire ?

Revenons à la « double besogne ». Depuis trente cinq ans le capitalisme est entré dans un nouveau cycle de crise structurelle. Cette situation a considérablement modifié les conditions de la lutte économique. La classe ouvrière a perdu beaucoup de batailles, notamment sur le front de l’emploi. Le chômage de masse et la précarité, sources de dislocation de la conscience de classe, se sont développés. Contrainte à la défensive, la classe ouvrière a riposté mais n’a guère marqué de points durables. Elle a, dans la même période, rencontré la désillusion politique d’un changement pouvant venir d’en haut, tomber du ciel en quelque sorte. Elle a subi l’assaut idéologique prolongé du libéralisme et a vu s’effondrer des références politiques longtemps constitutives d’espérances sociales.

C’est dans ce contexte que les forces réactionnaires ont avancé et ont tenté des manœuvres de division. Les idéologies et pratiques du donnant-donnant ont été développées. Les silos de grain à moudre qui avaient nourri bien des compromis dans la longue période d’essor de l’après guerre, se sont progressivement vidés. Le réformisme syndical classique de FO ; de la CFTC, de la CGC et de la vieille FEN (reconvertie en UNSA) s’est vu priver d’oxygène. La CFDT a pris le relais des compromis ou plutôt des compromissions ainsi que l’a spectaculairement montré l’épisode des retraites en 2003.

Dans le champ politique le social libéralisme s’est installé majoritairement à gauche et la gauche d’alternative a bien du mal à surmonter ses préventions et à s’unir autour d’un projet.

La lutte pour la préservation des situations positives pour les salariés, s’est donc déroulée sur un très longue période dans ce contexte défavorable et a exigé tout à la fois une intense bataille idéologique et beaucoup de mobilisations. Cette action a relevé en définitive de la première de la fameuse « double besogne » évoquée dans la Charte d’ Amiens. Défensive elle n’a pas impliqué le statu quo. Elle a construit son argumentation à partir d’une évaluation critique de l’existant mais a visé à améliorer celui-ci. Elle s’est donc extournée par principe de toute logique de régression et a visé à des avancées nouvelles. Elle a cherché à promouvoir l’intervention des travailleurs dans la gestion, a multiplié les contre propositions Les résultats de ces batailles sont contrastés.

Contraint à la défensive et ripostant aux attaques avec plus ou moins de bonheur, le mouvement syndical a néanmoins tenté de proposer. La CGT est ainsi à l’origine, dans le champ syndical, de deux propositions dont il faut apprécier la nature : la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle et d’un nouveau statut du travail salarié.

Ces deux propositions ont pour caractéristique de se situer comme réalisables à l’intérieur même d’une société pilotée par les logiques capitalistes. Elles ne provoquent pas de rupture inconciliable avec le système bien qu’elles amorcent de fait le dépassement partiel du marché du travail et du salariat capitaliste.

Parlons clairement : l’expérience historique d’une transformation sociale radicale issue d’un processus violent et ayant produit, par de larges contraintes, des transformations sociales ayant échoué, la stratégie et les conceptions qui en découlaient ne sont plus à l’ordre du jour, dans les pays développés du Nord en tout cas. Il découle de ce fait que le couple réforme/révolution tel qu’il était pensé au début et au cours du XXe siècle doit être réexaminé sans que l’on oublie les éléments d’analyse fondamentaux qui se sont exprimés dans ce cadre et qui gardent leur pertinence. Faudrait-il, par exemple, conclure des échecs rencontrés qu’une transformation graduelle du capitalisme est possible ? Ou même qu’un aménagement des fonctionnements les plus brutaux et irrationnels du capitalisme suffirait à le rendre acceptable et pertinent en tant que solution éternelle ?

On entend, dans les séismes provoqués par la crise actuelle beaucoup de propos dans ce sens. Le réformisme trouverait dans ces ajustements du capitalisme un espace nouveau. Il existe dans le mouvement syndical des courants issus notamment de la tradition chrétienne (fondée sur la doctrine sociale de l’Eglise) qui sont tout à fait disposés à emprunter un tel chemin. Mais d’autres courants peuvent être (et sont) concernés par cette tentation de régulation du capitalisme, dès lors qu’ils réduisent dans les faits l’intervention syndicale à la seule première besogne.

Pour tous ceux qui maintiennent dans l’horizon la perspective de la transformation sociale, les questions ne peuvent être posées ainsi et ils doivent convenir qu’elles ne peuvent s’inscrire dans les limites de la seule réflexion syndicale. Nous rencontrons ici la question compliquée des relations que le syndicalisme inscrivant la transformation sociale comme intégrée à sa raison d’être, entretien nécessairement avec la politique. Relation qui ne se réduit pas aux relations avec les partis.

Le syndicalisme de transformation sociale ne peut se passer d’une vision historique. Certes, il n’a pas vocation intrinsèque à produire de la théorie, mais il doit se situer par rapport aux théories de la transformation sociale, en premier lieu par rapport au marxisme tel qu’il se renouvelle. La question du marxisme ou plutôt de la nécessité de « penser avec Marx aujourd’hui » ne procède pas d’une référence liturgique. La crise a rétabli la pensée de Marx comme incontournable. Le spectacle est parfois assez cocasse, certains y cherchant des recettes, d’autres célébrant des pertinences partielles, autant de manières de dévitaliser sa pensée.

Car la question posée est bien celle d’un dépassement du capitalisme au sens où l’entendait Marx, c’est-à-dire la suppression de la forme antagonique et transitoire du développement humain qu’il représente afin, comme l’écrit Lucien Sève [1], de « maintenir et promouvoir sous des formes nouvelles les contenus antérieurement acquis ».

Quel chemin peut prendre cet objectif ? Autant je pense qu’il n’y a pas de recette autant j’estime qu’il est possible de penser les principes d’un tel processus. Il faut d’abord répondre à la question suivante : le processus révolutionnaire se réalisera t-il selon la logique d’une guerre de mouvement ou selon celle d’une guerre de position, pour reprendre la distinction d’Antonio Gramsci ?

Si l’on s’inscrit dans la perspective d’évitement d’une confrontation violente (mais l’histoire peut bien sûr en décider autrement) ce qui ne signifie aucunement l’affaissement de la confrontation des classes, la question est posée de l’engagement d’un long processus construisant un rapport de force favorable à la classe ouvrière. Lucien Sève indique qu’apparaît ici un nouveau concept de révolution qu’il propose de nommer « révolution évolutionnaire », en retournant « l’évolution révolutionnaire » dont parlait Jaurès.

Autrement dit comme le disait Engels en 1883, «  un processus de développement des masses qui, même dans des circonstances qui s’accélèrent, prend des années ».

Une période donc au cours de laquelle se mène la bataille pour l’hégémonie c’est-à-dire l’affirmation d’idées et de positions au sein des divers compartiments de la société et de l’État lui-même, qui installent un projet social global.

Il s’agit donc d’un processus de désaliénation du politique dont le cœur ne se trouve pas seulement dans l’État (ce qui était, on s’en est rendu compte, au cœur de la logique de prise du pouvoir et de continuation de l’Etat) mais dans la société toute entière. Cette réappropriation du pouvoir effectif vise à provoquer l’extinction de l’Etat tel qu’il a jusqu’alors existé par la montée en puissance de la politique. L’avenir ne se conçoit pas comme on a pu le dire et le croire (mais rarement le penser) comme une administration sans horizon des choses mais comme un autogouvernement orienté des hommes.

Si l’on admet une perspective ainsi sommairement évoquée, on écarte toute voie et issue réformiste. On se propulse dans une démarche exigeante, radicale. On retrouve l’articulation de la double besogne débarrassée de la logique du Grand soir. La formulation, dans l’ordre syndical (mais cela rejoint substantiellement l’ordre politique) de grands objectifs de révolutions évolutionnaires, suppose bien sûr que l’on bâtisse ces derniers à partir de l’objectif constamment affirmé d’émancipation du salariat.

André Narritsens
IHS-CGT

Notes

[1Commencer par les fins. La nouvelle question communiste, p. 96.

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