
Tribune de Jack Ralite dans l’Humanité du 21 juillet 2009
« Le dernier jour de se donner la main » ?
mardi 21 juillet 2009
Le 21 août 2008, au moment de la grande dispersion, le Gouvernement, par un décret de sa Ministre du Logement, Madame Boutin, a décidé que des résidents étaient devenus indésirables dans les HLM. Ce décret, en effet, établit une nouvelle norme pour le droit à un logement HLM. Cette norme décide d’augmenter, en fonction des revenus, le loyer de locataires qui ne sont pas considérés comme pauvres, d’expulser ceux d’entre eux n’ayant pas 70 ans refusant de s’y soumettre et d’abaisser le plafond de ressources pour accéder à un logement HLM avec effet rétroactif, c’est-à-dire en bafouant des contrats de location.
Ainsi, le décret Boutin considère que les HLM ne doivent être habités que par des « hommes à part », des « hommes dépréciés », qui sont supposés ne pouvoir vivre qu’entre eux, sans autre voisinage que leur double, des êtres à qui il est demandé de se faire oublier, des êtres entrés par force dans des histoires closes, que l’on oblige à rester à quai comme assignés à résidence dans une portion de l’espace social à échanges et responsabilités limités, des êtres privés du « risque de vivre », comme tout le monde, seul moyen pourtant d’avoir le « risque de guérir ».
Non, non et non ! Ces êtres que le Président de la République a osé appeler « racailles » à Argenteuil, a menacé du « karcher » à la Courneuve quand leurs souffrances les ont conduits à des actes désespérés, a trouvé indignes de lire « La Princesse de Clèves » de Madame de la Fayette, ces êtres ne sont pas des gens « à part » et sont même sources d’innovations à la mesure des déchirements dont ils sont victimes.
Ces êtres souvent précaires et comme suspendus ainsi dans le vide, paraissent à ceux qui ne les rencontrent jamais, étranges -l’étrange pauvre et le pauvre étranger- alors qu’ils avaient créé un lien d’intimité, d’humanité, de sociabilité avec leurs quelques voisins ayant une situation nettement meilleure que la leur et qui ne les rejetaient pas. Ils avaient réussi une alchimie sociale où l’inhospitalité était exclue, où la tendresse n’était pas interdite.
Certes, depuis un certain temps, ces rapports étaient déjà devenus moins fréquents, parfois même rares, et souvent était prononcée l’expression « On va devenir un ghetto ». Le décret du 21 août 2008, dont Madame Boutin ose dire qu’il va donner des logements pour les plus pauvres, alors qu’elle en construit trop peu et en tout cas pas assez, trouve sans doute que ce compagnonnage de proximité était de trop puisqu’elle tente avec son décret de lui porter un coup fatal tout en répétant son attachement à la mixité sociale.
Madame Boutin et le Gouvernement nous mettent à un « moment brèche » qui nécessite un refus à l’étage voulu.
Il faut dire la vérité : ce ne sont pas des occupants riches que la Ministre du Logement, au nom du Gouvernement et du Président de la République, veut chasser des HLM, ce sont des gens modestes qui ont lutté, appris et réussi à avoir un statut décent, ce sont des personnes originaires de la ville où sont leur HLM, y vivant depuis longtemps et ayant participé à l’histoire de ce lieu.
Apportons la preuve de leur supposée richesse et de l’intraitabilité gouvernementale par ailleurs si douce aux spéculateurs.
A Aubervilliers, où il y a près de 8000 HLM publiques, 14 locataires étaient jusqu’à présent concernés par le surloyer. Une dérision caricaturale existante dans beaucoup d’autres offices HLM. Pour que ça n’atteigne pas une nuance comique, révélant l’opération gouvernementale, le décret du 21 août 2008 a diminué le plafond de ressources pour avoir accès à un logement HLM et fait que des gens qui étaient jusqu’ici normalement locataires deviennent des locataires anormaux : avec les 14 historiques, l’Office HLM d’Aubervilliers a 154 locataires devenus sans droits !
Quelques exemples significatifs :
Vous êtes logés depuis 1980 dans 84 mètres carrés. Les enfants sont partis depuis quelques temps, vous restez à deux personnes, vos retraites s’élèvent à 3700 € par mois. Vous payez actuellement 402 € de loyer (700 € avec les charges). Si la loi est appliquée vous devrez payer 296,10 € de surloyer, soit un total de 996,10 €.
Vous êtes un jeune ménage dans 70 mètres carrés, vous travaillez tous les deux et gagnez chacun 1584 € par mois. Vous êtes éligibles au surloyer, car vous gagnez 20% de plus que le plafond et allez devoir payer 47,25 € de plus. L’un de vous deux obtient une augmentation de 100 € par mois, vous devrez payer un surloyer de 89,25 €. Si l’autre obtient la même augmentation, le surloyer sera alors de 131,25 €. Bref, plus vous allez croire gagner plus, plus vous allez devoir payer plus : avec 200 € de plus par mois, vous aurez 131,25 € de surloyer.
Veuve depuis un an, vous occupez un logement de 65 mètres carrés, votre retraite est de 1500 € par mois, vous touchez depuis un an la pension de réversion de votre mari, vous payez actuellement 311 € par mois de loyer. Votre surloyer serait de 258,37 €, soit avec les charges 769 € par mois.
Vous êtes un ménage avec deux enfants de 18 et 21 ans, logés dans un 86 mètres carrés, avec 5600 € par mois pour 4 personnes, vous ne payez pas de surloyer. Mais l’un de vos enfants trouve un travail comme stagiaire à 1000 € par mois, vous devrez alors payer 58,05 € par mois de surloyer. Pas de chance ! Votre 2ème enfant trouve aussi un travail à 1000 € par mois, votre surloyer sera alors de 367,65 € par mois, avec les charges cela fera 1067 € par mois. Si l’un de vos enfants a le malheur de gagner plus de 1776,5 € par mois, il ne pourra même pas s’inscrire pour demander un HLM.
On pourrait prendre d’autres exemples dans d’autres villes. En Seine-Saint-Denis, et particulièrement dans les 8 villes de Plaine Commune, le décret Boutin multiplie les proscrits d’HLM par 10. Dans le parc de l’Office départemental HLM du 93, 42 payaient le surloyer, 500 devront le payer…
Vous ne savez pas tout ! Une modification de la loi de Finances, votée le 30 décembre 2008, offre un dégrèvement fiscal à celui qui investit dans le logement dont on sait que le loyer de sortie est supérieur au logement social. Le dégrèvement est de 75000 € par logement. C’est une niche fiscale débouchant sur des loyers inaccessibles aux expulsés soi-disant riches des HLM. C’est une réédition de la loi de Robien qui avait créé une démarche semblable et dont beaucoup des logements ainsi construits avec un avantage fiscal n’ont pas trouvé preneurs.
On est vraiment dans le règne de l’insensé, de l’arrogance, de la pollution des rapports humains, de l’analphabétisme social, de l’absence d’une pensée, même restreinte de l’en commun et du vivre ensemble. C’est à se demander si Madame Boutin et son circonvoisinage politique et gouvernemental ne souhaitent pas qu’arrive « le dernier jour de se donner la main » (Aragon).
Le processus est d’ailleurs commencé. Autrefois un pauvre menacé d’expulsion s’en allait à « la cloche de bois ». Aujourd’hui, pendant l’année de répit qui a été arrachée pour appliquer le décret, ces ouvriers qualifiés, ces cadres moyens sont en train de partir un à un, en silence, du logement où ils étaient heureux de vivre. C’est d’autant plus inacceptable que les logements privés de la Ville de Paris qui ont tant fait parler en leur temps, avec des loyers bas pour des personnes à hauts revenus, ont été exonérés du décret du 21 août 2008.
Continue toujours parallèlement la résistance des maires ne voulant pas de logements sociaux et n’appliquant pas la loi Gayssot qui exige que chaque commune construise 20 % de logements sociaux.
Finalement, en France, il n’y a que les très riches qui sont fiers de l’être. Les pauvres et les couches moyennes sont culpabilisés par la politique du pouvoir. Les premiers parce qu’ils sont accusés de ne pas faire d’efforts, les seconds parce qu’ils ont l’audace de gagner un peu plus.
Une bataille parlementaire a eu lieu où les groupes communistes ont joué un grand rôle non sans succès. Mais la charitable Madame Boutin a rattrapé, par un vote nocturne, l’essentiel de ce qui avait été gommé.
Il n’y a pas d’autre solution que de se battre et de se battre ensemble, en voisinage de lutte, comme on vivait jusqu’ici en voisinage de pallier.
On doit pouvoir faire reculer le gouvernement soit en remettant en cause le décret, ce qui serait le mieux, soit en faisant en sorte, dans une ville comme Aubervilliers, que tout le territoire soit classé en Z.U.S, ce qui rendrait le décret inapplicable.
Il faut en finir avec la ségrégation sociale, et il n’est pas question de faire des accommodements. Ne nous limitons pas à sa constatation lucide, transformons-la en un mouvement, et le mot n’est pas trop grand, de civilisation, puisqu’il s’agit du respect et de la dignité d’hommes et de femmes, ceux et celles qui sont chassés, ceux et celles qui vont rester avec le risque de la ghettoïsation.
Jack Ralite
Sénateur de Seine-Saint-Denis
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