
Lettre de Jack Ralite au ministre du logement
vendredi 3 juillet 2009
Lettre du 25 juin 2009 à Monsieur Benoît APPARU, Ministre du logement
Monsieur le Ministre,
Vous venez d’être chargé du dossier du logement dans le gouvernement. C’est dans ce cadre, que je souhaite vous faire part de la vive émotion des locataires et des associations de locataires d’Aubervilliers, à propos du décret ayant réformé le supplément de loyer solidarité (SLS) dans le parc social. Son mode de calcul est particulièrement pénalisant pour les couches moyennes à Aubervilliers, qui paient ou qui vont payer un surloyer, faisant basculer, à tous les sens du terme, la vie de ces familles.
Cette mesure, que je trouve rigide et brutale, a imposé par décret aux bailleurs sociaux un nouveau barème de SLS, applicable depuis le 1er janvier 2009 aux locataires dont les ressources dépassent d’au moins 20 % les plafonds d’accès au logement social. Cette réforme est vécue comme une violence à l’égard d’une catégorie de la population d’Aubervilliers dont les revenus ne sont certes pas identifiables à la pauvreté, mais non plus à la richesse.
Il s’agit pour l’essentiel de gens modestes qui ont lutté, appris et réussi à avoir un statut décent. Ce sont des personnes originaires de la ville, y vivant depuis longtemps et ayant participé à l’histoire de ce lieu.
Ce décret démesuré frappe à Aubervilliers 154 foyers soit près de 400 personnes (sur 8000 logements HLM).
Un Office HLM a certes pour préoccupation majeure de loger les plus pauvres, et c’est le cas indiscutable à Aubervilliers. Mais il a aussi l’obligation civique et éthique de favoriser la mixité sociale sans laquelle il n’y a pas de vie de société digne de ce nom. Déjà nous connaissons des phénomènes communautaires. Nous risquons d’aller plus loin et de connaître la ghettoïsation par l’évacuation des couches moyennes albertivillariennes.
L’Office HLM d’Aubervilliers a d’ailleurs fait une étude dont j’extrais le cas d’une famille de trois personnes ayant un revenu fiscal de 46.000 € dépassant donc le plafond de ressources de 80 %. Elle payait 69 € de surloyer en 2008 et devra payer 968,30 € avec la baisse des plafonds de ressources.
Je me permets d’ajouter d’autres exemples significatifs :
Une famille logée depuis 1980 dans 84 mètres carrés. Les enfants sont partis depuis quelques temps, seuls restent les parents dont les retraites s’élèvent à 3700 € par mois. Ils paient actuellement 402 € de loyer (700 € avec les charges). Si la loi est appliquée ils devront payer 296,10 € de surloyer, soit un total de 996,10 €.
Un jeune ménage dans 70 mètres carrés, ils travaillent tous les deux et gagnent chacun 1584 € par mois. Ils sont éligibles au surloyer, car ils gagnent 20% de plus que le plafond et vont devoir payer 47,25 € de plus. L’un des deux obtient une augmentation de 100 € par mois, ils devront payer un surloyer de 89,25 €. Si l’autre obtient la même augmentation, le surloyer sera alors de 131,25 €. Bref, en pensant gagner plus, ils vont devoir payer plus : avec 200 € de plus par mois, ils auront 131,25 € de surloyer.
Une dame, veuve depuis un an, occupant un logement de 65 mètres carrés, sa retraite est de 1500 € par mois, elle touche depuis un an la pension de réversion de son mari, elle paie actuellement 311 € par mois de loyer. Son surloyer serait de 258,37 €, soit avec les charges 769 € par mois !
Un ménage avec deux enfants de 18 et 21 ans, logés dans un 86 mètres carrés, avec 5600 € par mois pour 4 personnes, ils ne paient pas de surloyer. Mais l’un des enfants trouve un travail comme stagiaire à 1000 € par mois, ils devront alors payer 58,05 € par mois de surloyer. Pas de chance ! Le 2ème enfant trouve aussi un travail à 1000 € par mois, leur surloyer sera alors de 367,65 € par mois, avec les charges cela fera 1067 € par mois. Si l’un des enfants a le malheur de gagner plus de 1776,5 € par mois, il ne pourra même pas s’inscrire pour demander un HLM.
Certes aujourd’hui, ces mesures ne sont pas appliquées, pour un an, les villes utilisant ce calendrier pour modifier éventuellement leur Plan Local de l’Habitat en déterminant des zones géographiques ou des quartiers où le surloyer ne s’appliquerait pas.
Je sais que les huit maires de la Communauté d’agglomération « Plaine Commune » ont demandé, en décembre 2008, un rendez-vous à votre prédécesseur qui n’a pas répondu.
Concernant Aubervilliers, je pense que la meilleure solution serait que l’ensemble de la ville soit exclue de cette loi et que tout le territoire soit classé en Z.U.S. ce qui rendrait le décret inapplicable.
Je suis membre depuis des années du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées, fondé par l’ancien Président de la République, Jacques CHIRAC, sur une proposition de l’Abbé PIERRE.
J’ai participé par ailleurs à l’élaboration de la loi DALO créant un « droit opposable » pour toute personne d’origine modeste à qui ne serait pas attribué un logement.
Mais aujourd’hui, l’inquiétude ressentie parmi les albertivillariennes et albertivillariens, inquiétude que je partage, me conduit à vous demander d’envisager le retrait de ce décret que je qualifierai de « fausse bonne mesure ».
D’autres choix sont possibles pour le droit au logement.
Je vous remercie, Monsieur le Ministre, de l’attention que vous porterez à ce courrier, et vous demande de me recevoir avec une délégation de personnes concernées par cette mesure ségrégative.
Je vous prie de croire à l’assurance de mes sentiments distingués.
Jack RALITE,
ancien ministre
sénateur de Seine-Saint-Denis
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