Tribune d’André Narritsens
À propos des commémorations à Aubervilliers
jeudi 14 mai 2009
NdMT : Caroline Andréani a publié une tribune (voir les commentaires en fin d’article) qui complète le propos exposé ci-dessous.
Les enjeux politiques des commémorations
Robert Chambeiron, dans un texte intitulé « Fidélité au 8 mai » publié dans L’Humanité du 12 mai pose avec beaucoup de force la question de l’usage qu’entend faire Nicolas Sarkozy des grandes commémorations nationales.
Cette réaction du dernier survivant du Conseil national de la Résistance doit être d’autant plus prise au sérieux qu’elle s’ajoute à d’autres qui ont concerné des tentatives de manipulation de l’histoire, telle la fameuse affaire de la Lettre de Guy Môcquet. Mais on pourrait aussi y ajouter les polémiques qui se sont nouées à l’occasion de la création du Musée des Arts premiers.
Les commémorations des grandes dates de notre histoire ont toujours constitué des enjeux symboliques et politiques. Elles restent parfois empreintes d’ambiguïtés, s’agissant de la célébration de la fin de la guerre d’Algérie par exemple. Le 1er mai est depuis longtemps l’objet d’usages contradictoires. L’extrême droite n’a jamais abandonné cette date à l’expression de la solidarité internationale des travailleurs et a tenté soit de l’institutionnaliser en l’aseptisant sous le vocable de « Fête du Travail », soit à la détourner de toute référence au travail en l’associant à une expression nationaliste (couplage avec la célébration de Jeanne d’Arc).
Tels sont, très brièvement évoqués, quelques uns des enjeux généraux des commémorations auxquels il convient d’ajouter un éclairage local.
En effet, depuis l’élection de Jacques Salvator à la fonction de Maire, on assiste, au fil des mois à la mise en œuvre d’une orientation méticuleuse visant à installer dans la ville des repères nouveaux, rompant avec le passé.
Nous aurons l’occasion de revenir sur tout cela et nous en tiendrons aujourd’hui à la question de seulement quelques commémorations [1].
S’agissant du 8 mai, nous avions noté que J. Salvator avait consacré en 2008 son discours à la seule évocation de la déportation raciale. En 2009 il a accentué encore cette lecture de la journée en confiant à deux enfants juifs le dépôt de la gerbe municipale devant le monument aux morts. Nous n’ajouterons rien d’autre à ce que dit Robert Chambeiron sur le détournement de signification du 8 mai.
D’une certaine manière le 8 mars qui est la « journée internationale de lutte des femmes » a été considérablement détourné, réduit à une « journée de la femme » qui s’est notamment traduite par des représentations de danses, de gymnastique et… de boxe, alors que des milliers de femmes manifestaient à Paris pour leurs droits.
Le capital symbolique que représente dans la ville le passé héroïque de très nombreux militants communistes, conduit le Maire d’Aubervilliers à en tenir compte (tel fut le sens de l’invitation d’Odette Nilès à la commémoration de la fusillade de Châteaubriant) mais il ne néglige pas de rappeler que les communistes n’ont pas été les seules victimes des répressions. Ainsi, à l’occasion de l’hommage à Suzanne Martorell, il évoque, « tous les morts de février » et associe Pierre Overney à Suzanne, mêlant ainsi deux drames qui ont peu à voir l’un avec l’autre.
Nous ne développerons pas plus avant, sauf à noter que des incidents (sur lesquels il conviendra de revenir ) se sont déroulés le 8 mai dernier à l’occasion de l’hommage rendu aux victimes des massacres de Sétif en 1945 et semble t’il conçu sur une base communautaire.
Tels sont, brièvement exposés, quelques faits et les interrogations qu’ils suscitent.
André Narritsens
Le texte de Robert Chambeiron paru dans l’Humanité du 12 mai 2009 et évoqué par André Narritsens est reproduit ci-dessous :
En 1975, cédant à la partie la plus rétrograde de sa majorité, le président Giscard d’Estaing décida brusquement qu’on ne célébrerait plus désormais l’anniversaire de la victoire du 8 mai 1945, au motif (entre autres) expliqué par l’un de ses ministres qu’il y avait des évènements dont l’évocation n’était pas agréable à tout le monde. La protestation fut à la mesure de cette atteinte à la sensibilité populaire. Vingt-cinq mille personnes défilaient sur les Champs-Élysées, toutes tendances confondues, comme dans la Résistance. Giscard prit la mesure de son erreur. C’était trop tard ! Le vent de mai 1981 venait de se lever, qui allait balayer jusqu’aux derniers remugles d’un pouvoir déchu. Exit le président. Sic transit !
Le président Sarkozy aiguillonné par la même majorité passéiste a choisi une méthode plus nuancée. Pas de bâillon, mais une douce lobotomie ! Échaudé par l’échec de la mission Kaspi chargée de passer en force pour imposer une refonte du calendrier des cérémonies mémorielles, le chef de l’État ne renonce pas à sa volonté d’affadir dans la mémoire des Français certains grands moments de leur histoire contemporaine, telle par exemple la traditionnelle cérémonie commémorant la victoire des alliés sur le fascisme en la transformant en une sorte de fête campagnarde sur de lointains rivages sans rapport aucun avec l’évènement qu’on prétend honorer. Le cirque et les jeux !
Ne laissons pas saccager les grands moments de notre histoire. On a souvent dit, et à juste raison, qu’un peuple sans histoire est un peuple suicidaire. Rappelons-nous ce qu’écrivait Victor Hugo dans les Châtiments : « Le peuple de France ne peut pas exister sans vivre. » Vivre, oui, mais debout, avec son patrimoine culturel et moral intact !
Robert Chambeiron, grand-croix de la Légion d’honneur, dernier survivant du Conseil national de la Résistance
Notes
[1] Nous n’évoquons pas l’inauguration de la rue Adrien Huzard, parce qu’elle n’appelle pas d’observations particulières, son déroulement et son contenu ayant été préparés par la municipalité dirigée par Pascal Beaudet.
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