Souffrance au travail. L’OPH d’Aubervilliers dans la tourmente.

Un article de Loan Nguyen paru dans l’Humanité du 3 janvier 2022.

lundi 3 janvier 2022

Des salariés de l’office HLM de la ville de Seine-Saint-Denis dénoncent un climat de terreur. Un représentant syndical passe ce lundi en entretien préalable à sanction.
« Insultes, humiliations, violences psychiques, traitement de faveur, division des troupes » : les accusations du syndicat SUD contre le nouveau directeur général de l’Office public de l’habitat (OPH) ­d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, sont cinglantes. Arrivé il y a environ six mois à la tête du bailleur social, Jean-Baptiste Paturet semble cristalliser les tensions autour de sa personne. Ce lundi, c’est Tarek Aggoun, représentant syndical SUD dans la maison, qui est convoqué pour un entretien préalable à sanction. « Ça fait huit ans que je travaille à l’OPH, mes entretiens d’évaluation ont toujours été clean. Et du jour au lendemain, on me reproche d’avoir fait preuve d’“insubordination” et de “violence physique et verbale” », explique le responsable de quartier et syndicaliste, mis à pied dans l’attente d’une sanction. D’après lui, c’est un échange avec le directeur général, le 13 décembre, qui serait à l’origine de cette mise à pied. « M. Paturet m’a convoqué de manière informelle dans son bureau. Je pensais que cela portait sur un motif professionnel, mais je me suis vite rendu compte qu’il me reprochait des prises de position dans le cadre de ma délégation syndicale, en l’occurrence un courrier intersyndical. Donc j’ai coupé court », raconte Tarek Aggoun.
Sollicitée, la maire d’Aubervilliers et présidente de l’OPH, Karine Franclet (UDI), évoque, elle, un « comportement inapproprié » du représentant syndical sans plus de précisions. « La création de la section syndicale en novembre 2021 a beaucoup énervé le directeur général », affirme Tarek Aggoun, qui précise que l’OPH a saisi le tribunal de Bobigny en référé pour tenter de faire annuler les mandats des représentants SUD dans l’organisme. Deux rassemblements de soutien au représentant SUD sont prévus ce lundi, à 15 h 30, devant l’office HLM et, à 17 h 30, devant la mairie d’Aubervilliers.
Ruptures de contrat, licenciements et démissions en cascade
Mais loin de se limiter à un face-à-face entre direction et syndicat, les pressions et procédures disciplinaires viseraient plus largement les salariés fonctionnaires et de droit privé de l’office HLM. « Entre les licenciements, les démissions, les ruptures conventionnelles, etc., on en est à 15 ou 20 personnes qui sont parties. Le taux d’absentéisme est de 11 %, et ce n’est pas qu’à cause du Covid ! » affirme Tarek ­Aggoun. La présidente de l’OPH estime, elle, à 9 le nombre de ruptures de contrat, licenciements, démissions et procédures transactionnelles compris, soulignant que 14 départs avaient été enregistrés entre début janvier 2020 et le 31 mai 2021, ­antérieurement à la nomination du nouveau directeur général. Si Karine Franclet réfute l’existence d’un « climat de terreur », arguant d’une quasi-unanimité au CSE de l’établissement pour adhérer à la SAC Groupe Habitat Seine-Saint-Denis, nombre de témoignages de salariés font état de relations particulièrement dégradées avec la direction.
« L’ambiance est délétère, catastrophique », se désole un salarié en arrêt maladie justement à cause de ces tensions avec la direction. Craignant des représailles, lui comme ses collègues n’acceptent de témoigner qu’anonymement. « Le directeur a quand même appelé la police municipale pour débarquer un salarié qu’il avait mis à pied en exigeant qu’il parte sur-le-champ », confie un autre. « Il fait faire des audits pour essayer de trouver des fautes graves aux gens, on est tous sur le qui-vive », poursuit-il. « Il aboie sur les gens. Un collègue a été rétrogradé du poste de responsable de service à gardien. On est dans la peur constante de perdre notre travail pour une raison anodine, juste parce qu’on est dans le viseur », regrette une salariée qui estime qu’ils sont nombreux à venir au travail « la boule au ventre ».
« Je pense qu’il y a un double objectif à ces pressions pour faire partir les gens », estime un ancien salarié licencié pour faute grave qui compte saisir les prud’hommes. « C’est à la fois pour préparer la fusion de l’OPH avec un autre organisme où des salariés pourraient faire doublon, mais aussi pour se séparer de collaborateurs que la direction juge trop proches politiquement de l’ancienne majorité. »
Déjà une petite expérience en matière de harcèlement
« Il est arrivé avec une réputation de nettoyeur, et il déroule », ajoute cet ancien salarié. En effet, Jean-Baptiste Paturet traîne derrière lui des antécédents à Metz Habitat Territoire, l’office HLM du chef-lieu mosellan. En juin 2018, le Républicain lorrain avait recueilli des dizaines de témoignages de salariés et d’anciens salariés de l’organisme faisant état d’un climat « affreux » dans lequel licenciements, démissions et inaptitudes s’enchaînaient, de même que les plaintes pour harcèlement moral et les procédures aux prud’hommes. Face au tollé déclenché par cette situation, Jean-Baptiste Paturet avait fini par démissionner à l’été 2018.
Du côté de la présidence de l’OPH ­d’Aubervilliers en tout cas, on semble soutenir l’action du directeur général. « Les quelques situations sociales concernent des cas particuliers isolés dont les rémunérations n’étaient pas en concordance avec les textes et qui de ce fait ont fait l’objet de régularisation pour la bonne gestion des deniers publics », affirme ­Karine Franclet, qui souligne que la situation était « dégradée » avant sa prise de fonction à la tête du bailleur social et que le dialogue social a « repris » avec l’arrivée de Jean-Baptiste Paturet. Contactée, la direction de l’OPH d’Aubervilliers n’a pas répondu à nos questions.

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