Les conditions de la réussite. L’école et la question sociale.

Une tribune libre

mardi 11 septembre 2018

Tribune libre d’enseignants du lycée le Corbusier d’Aubervilliers parue dans l’Humanité du mardi 11 septembre 2018

À Aubervilliers et dans bien d’autres villes de France, les enfants sont scolarisés dans des établissements confortables. Comment comprendre que certains élèves n’y réussissent pas, alors que la puissance publique consacre des sommes importantes pour que les conditions matérielles permettent un enseignement de qualité ?

Tout bêtement – osons le dire – parce que la vie ne commence pas avec la première sonnerie et ne s’achève pas une fois les portes des établissements scolaires fermées. Le matin, certains élèves arrivent fatigués à l’école, certains ont faim. On accuse les écrans, les téléphones portables et la malbouffe… On pose rarement la question des conditions matérielles du repos et d’une alimentation correcte.

Lorsque plusieurs appartements brûlent à Aubervilliers cet été, lorsque des familles sont prisonnières de logements vétustes et otages de marchands de sommeil, lorsqu’il n’y a plus de place dans les logements sociaux, on ne s’inquiète pas de savoir si d’autres enfants courent les mêmes risques. Lorsque baisse le montant des APL et que le prix des loyers rend illusoire la possibilité de poursuivre des études supérieures à l’université sans être salarié, on continue de s’étonner que les étudiants s’y épuisent au détriment de leur formation.

La précarité matérielle et sociale pourrait être réduite si un effort suffisant était consenti pour construire des logements sociaux. Les inégalités sociales exigent un traitement social et non un traitement scolaire ou pédagogique. Las ! Développement personnel et neurosciences règnent désormais en maîtres sur les débats et l’étude du fonctionnement des aires cérébrales, ainsi que la pratique de la méditation semblent les moyens les plus efficaces d’expliquer les difficultés scolaires et de dompter les récalcitrants. L’idéologie sous-jacente est d’époque : individualisme et libéralisme martèlent à chacun qu’il est responsable de son épanouissement et de sa disponibilité aux apprentissages. En avant pour la course ! Et oublions que certains se présentent sur la ligne de départ sans chaussures… « J’ai en permanence à l’esprit les enjeux de justice sociale », affirmait Jean-Michel Blanquer dans le Monde du 31 août. Voilà qui tombe bien, nous aussi !

Texte collectif

Dans l’ouvrage Une chambre à soi, publié en 1929, Virginia Woolf précise que deux éléments sont indispensables pour permettre à une femme d’écrire : avoir une chambre qu’elle peut fermer à clé, afin de pouvoir travailler sans être dérangée par les membres de sa famille ; disposer de cinq cents livres de rente lui permettant de vivre sans souci. Ce n’est pas le talent qui manque à la femme écrivain, c’est la chambre à soi.
Signataires : Philippe Chartier, Raphaël Giromini, Valérie Louys, Isabelle Richer et Catherine Robert, professeurs au lycée Le Corbusier d’Aubervilliers.

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