Patrick Le Hyaric : « Ces attentats ont été minutieusement préparés et coordonnés »

mardi 22 mars 2016

Propos recueillis par Jean-Jacques Régibier pour Humanite.fr


Le député européen Patrick Le Hyaric (Gauche Unitaire européenne/Gauche Verte nordique) se rendait au Parlement européen à Bruxelles ce matin quand ont eu lieu les attentats à l’aéroport de Zaventem et à la station de métro de Maelbeek. Il témoigne de ce qu’il a vu, et avance les premières pistes pour analyser la situation face à ce nouveau drame qui frappe cette fois de plein fouet la capitale de l’Europe.

Qu’avez-vous d’abord ressenti en arrivant à Bruxelles ce matin ?

Patrick Le Hyaric . Je suis arrivé dans une ville protégée par les militaires, j’avais appris l’attentat de l’aéroport par les infos de mon téléphone portable et j’entrais juste à l’intérieur du bâtiment du Parlement européen quand a lieu le deuxième attentat dans le métro (à la station de métro de Maelbeek, qui dessert les institutions européennes NDLR ). Ce que j’ai ressenti de la part de gens qui travaillent ici, c’est un mélange d’angoisse, de tristesse et de peur, parce que les lieux qui ont été visés sont des endroits où arrivent des gens qui travaillent dans les institutions européennes, au Parlement et à la Commission. Donc il y avait la crainte que des gens qui travaillent ici, des collègues, des amis, soient pris dans ce feu là, tout près, mais aussi à l’aéroport de Zaventem, puisqu’il y arrive des gens qui viennent de toute l’Europe et d’ailleurs. On avait par exemple une délégation, des amis qui arrivaient de New York une heure avant, d’autres qui devaient arriver au moment où a eu lieu l’attentat mais qui ont été détournées, je ne sais pas exactement où. Donc ça bouscule tout, ça créé un climat de peur car des choses qui pouvaient paraître étrangères, lointaines à certains, tout d’un coup sont là.

Est-ce que vous avez tout de suite pensé que l’Europe en tant que telle, était visée par ces attentats ?

Patrick Le Hyaric . Il y a un faisceau de circonstances bien sûr. D’abord l’arrestation de Salah Abdeslam, grâce tout de même à une coordination entre services de plusieurs pays européens, ça c’est le cadre de fond. Et puis, il y a ce qui s’est passé à Bamako cette nuit à coté de l’hôtel Radisson. Il y avait du personnel des institutions européennes là bas, il devait même y avoir toute une structure liée à des activités européennes à Bamako. Manifestement ce sont eux qui ont été visés. Il ne faut pas oublier non plus tout ce qui se passe autour des réfugiés et de la Turquie, cet espèce d’accord assez odieux avec la Turquie, mais qui met les institutions européennes sur le devant de la scène. Et puis bien sûr le fait que l’aéroport et la station de métro sont les endroits par où arrivent des gens qui travaillent dans les institutions européennes. On veut toucher d’une manière ou d’une autre les institutions européennes. Il semblerait, d’après les informations que nous avons depuis plusieurs semaines maintenant, qu’il y a eu des tentatives d’infiltration dans le Parlement européen. A Bruxelles, beaucoup de dispositions ont été prises depuis 2 mois pour sécuriser le Parlement. Toutes les entrées sont maintenant en travaux, il y a une sécurité très renforcée, on ne rentre plus de la même façon, les contrôles sont beaucoup plus sévères, beaucoup plus stricts, donc les menaces dont on nous a parlé maintenant depuis au moins 3 mois s’avèrent malheureusement exactes.

Qu’est-ce qui est ciblé exactement dans l’Europe par ces attentats selon vous, et est-ce vous pensez qu’on assiste à un déplacement de l’action des groupes djihadistes, du Moyen Orient, où ils sont toujours présents, à l’Europe ?

Patrick Le Hyaric . Oui, ils l’ont écrit, ils ont dit que l’Europe était une cible claire pour eux. La France, évidemment, pour ses engagements militaires sur les territoires d’opération comme la Lybie, le Mali et surtout la Syrie. Que la Belgique soit le camp de préparation, le camp retranché, le camp de recrutement pour ces attentats, ça le ministre de l’intérieur français Bernard Cazeneuve nous l’a dit dans les rencontres qu’il y a eu dans le courant du mois de novembre 2015, après le 13 novembre, avec le président de la République, auxquelles participaient le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères. Ce sont des informations qu’on nous a données. On nous a dit qu’il se préparait une chose extrêmement sérieuse, qu’il y avait beaucoup d’éléments dans ce sens. On nous avait donné à l’époque beaucoup d’indications précises que personne n’a rendues publiques pour des raisons de sécurité, mais tout ce qui a été dit ce jour là s’est avéré exact. Les tentatives d’attentats en France, la Belgique pour la préparation des attentats de Paris, tout ça était connu ( … ) Je pense que ces attentats ont été minutieusement préparés et coordonnés, donc leurs auteurs ne sont pas décidés à reculer.

Que faire, que dire, que préconiser quand on est député européen, passé le nécessaire moment de recueillement et de solidarité ?

Patrick Le Hyaric . Oui je ne parle que pour moi, mais je pense que c’est ça la première chose à faire. C’est d’avoir une pensée pour les victimes, pour leurs proches, pour les familles et puis toutes celles et tous ceux qui d’une manière ou d’une autre se sentent aujourd’hui plus ou moins menacés, dans une situation d’insécurité. Donc il faut créer des conditions de sécurité, c’est la première chose à faire. La question humaine doit passer avant toutes choses, avant toute tentative de récupération politique comme malheureusement on en voit . Deuxièmement, il y a des choses fondamentales qui font plus ou moins consensus, mais je crois que les coordinations entre les polices européennes, les parquets français, belges mais aussi allemands, italiens, espagnols, grecs et portugais. Je pense qu’il faut des coordinations du point de vue du renseignement, de la sécurisation, du point de vue des justices. Il faut un système coordonné pour que ceux qui font ça, ces tueurs, ces criminels soient eux aussi dans l’insécurité, que ce ne soient pas seulement les populations. Il faut sécuriser absolument les gens pour qu’ils puissent avoir leur liberté de se déplacer, de travailler, de sortir, de vivre ensemble, je crois que c’est la première chose à faire. Ensuite évidemment, il y a des questions fondamentales. On ne peut mettre ce qui se passe ni sur le dos ni des réfugiés, ni sur le fait qu’on n’aurait pas voté la déchéance de nationalité. On peut faire toutes les déchéances de nationalité qu’on veut, on voit bien que ce n’est pas ça qui est opérant. Donc il y a la question fondamentale du traitement de ce problème. Comment on créé des conditions pour isoler politiquement ces criminels ? Et les conditions pour les isoler politiquement passent par un vaste effort à la fois politique et diplomatique. Mais il faut aussi les faire reculer sur le terrain. On ne peut pas les laisser se déployer sur le terrain, en Syrie, en Lybie ou en Irak. Mais il faut combiner les deux choses, les efforts diplomatiques pour la paix et des actes sur le terrain.

L’Union européenne par exemple, doit porter des actes très ambitieux en direction du Maghreb et de tous les pays du Proche et du Moyen Orient, avec un programme de coopération qui vise à la reconstruction de ces pays pour les sortir des difficultés dans lesquelles ils sont. Plus on fera reculer les difficultés là-bas, plus on fera émerger une démocratie que les peuples doivent choisir, ce n’est pas à nous de choisir, plus on isolera cette espèce de criminalité abjecte qui se déguise derrière une religion. Ce sont les premiers à salir cette religion, et du même coup à salir tous les musulmans qui se sentent aussi dans une sorte d’insécurité de ce fait. Ce n’est pas très sympathique d’avoir des regards sur soi.

Comment le Parlement européen peut-il agir après ces nouveaux attentats à Bruxelles ?

Patrick Le Hyaric . Je crois qu’à l’ouverture de la prochaine session à Strasbourg, il faut un moment d’expression publique des institutions européennes au sein du parlement. Il faut prendre une initiative politique, même si elle n’a pas une valeur juridique dans un premier temps. Cela devrait être une résolution couvrant une ensemble de spectres, humanitaire dans un premier temps, mais appelant aussi au renforcement de la coopération entre services de renseignements entre polices et parquets de l’Union européenne. Il faudrait un centre de coopération des parquets européens. Et puis la question fondamentale pour moi c’est : quel type d’initiative politique pour sortir les peuples du Maghreb et du Moyen Orient des difficultés dans lesquelles ils sont plongés ? Assécher la source du terrorisme passe par le fait que ces pays aussi puissent construire leur démocratie politique.

Répondre à cet article