Réunion « rythmes scolaires » en mairie
Salvator réinvente les rythmes scolaires en sortant du chapeau sa réforme concoctée par le brain-trust municipal
samedi 30 mars 2013
Ils étaient nombreux, ce jeudi 28 mars au soir, à venir écouter le maire présenter « sa » réforme des rythmes scolaires. Enseignants, directeurs et directrices d’écoles, animateurs, personnel communal, parents d’élèves... tous se sont pressés pour découvrir de quoi il retournait.
Le maire, entouré de plusieurs conseillers municipaux, explique qu’il a la conviction qu’il faut adopter au plus vite la réforme des rythmes scolaires, promesse de campagne de François Hollande. Certes, certaines municipalités socialistes et non des moindres – Lille par exemple – repoussent son application à la rentrée 2014. Mais quand on mesure le désastre de la réforme Sarkozy sur le rythme biologique des enfants, on ne peut pas attendre un an de plus ! Le cadre est posé.
D’autant, affirme-t-il, que la réforme a fait l’objet d’une large concertation. Plusieurs rencontres avec les acteurs du monde éducatif et les parents d’élèves ont eu lieu. La ville est fin prête à mettre en œuvre la réforme. Et pour l’y aider, le maire annonce la création d’un observatoire de quatre personnes, dont un universitaire, afin d’aider à mettre en place la réforme et à en surveiller l’application...
Deuxième prise de parole, celle de l’adjoint au maire à l’enseignement, Daniel Garnier. Il ré-explique doctement le drame de la semaine de 4 jours. Puis vient une description laborieuse des contraintes de la municipalité : problèmes d’espaces – où installer les enfants pendant les activités péri-scolaires –, d’encadrement – à qui va-t-on les confier pendant les 3/4 d’heure consacrés aux activités péri-scolaires et ira-t-on vers des taux d’encadrement allégés ? – et pistes de réflexion sur les activités : théâtre, musique, lecture...
Écoles A, écoles B, système D
Puis vient le moment tant attendu sur la mise en pratique de la réforme. Le maire-adjoint rappelle que les conseils d’école ont travaillé, que la concertation s’est faire à l’échelle de la ville, et que trois scénarios ont été établis. Aucun n’ayant vraiment créé l’enthousiasme, il présente un quatrième scénario, concocté sans que personne ne soit au courant. La ville sera divisée en écoles A et en écoles B. Les enfants des écoles A arrêteront l’enseignement à 14 h 30 les lundis et jeudis, et le temps péri-scolaire sera cumulé en une heure et demie de 14 h 30 à 16 h, tandis que les enfants des écoles B bénéficieront du cumul de temps péri-scolaire les mardis et vendredis.
Plusieurs avantages. Pour les parents, cela ne change pas des horaires des enfants qui continueront à entrer et sortir aux mêmes heures. Les enfants bénéficieront deux jours par semaine d’activités péri-scolaires sur une heure et demie. Pour le personnel, cela permettra une intervention régulière tous les jours de la semaine avec la création de 50 postes (à 6 heures de travail par semaine ?). Enfin, cela facilitera la gestion des centres de loisirs.
Bien entendu reconnaît Jacques Salvator, cette répartition du temps ne correspond pas au cadre de la réforme nationale. Mais il n’a aucune inquiétude : elle sera validée par l’Inspection académique.
Une réforme unanimement désapprouvée
Vers 20 h, la parole est (enfin) donnée à la salle. Et là, patatras, le joli scénario n’a pas convaincu. Tour à tour, enseignants, animateurs, personnel des écoles, parents d’élèves prennent la parole pour dire qu’ils ne veulent pas de l’application de la réforme à la rentrée 2013.
Concertation ? Il n’y en a pas eu, ni avec les enseignants, ni avec les syndicats du personnel, ni avec les parents.
Daniel Garnier, mis au pied du mur, confesse : « Oui, évidemment, je n’ai pas rencontré les parents un par un pour discuter, mais j’ai lu presque tous les compte-rendu des conseils d’école et j’en ai tenu compte ». Et que disent-ils ces comptes-rendus ? De l’avis même de l’intéressé, ils ont tous rejeté l’application de la réforme en 2013. Trois d’entre eux ont même carrément refusé la réforme. Ah !
Les enseignants pointent l’absence de concertation. Ils sont aux première loges pour savoir qu’il faudrait déjà que tous les postes d’enseignants soient pourvus, ainsi que les remplacements, avant d’aborder la réforme. On est loin du compte ! Ils ne voient pas comment appliquer une réforme qui n’a pas plus été concertée au plan national qu’au plan local. Silence gêné. Puis réponse à emporte-pièce de Daniel Garnier : le service enseignement a travaillé. Il a pondu une déclinaison locale de la réforme qui convient parfaitement. Il reste trois mois pour la mettre en place. Il ne voit vraiment pas pourquoi il faudrait la repousser à la rentrée 2014 (sic !). Peut être par souci de la démocratie ?
Lorsqu’on aborde la question du financement de la réforme, Jacques Salvator a un atout dans sa manche. Oui, la réforme, il veut l’appliquer dès 2013, car elle va permettre à la commune d’obtenir des financements. L’argent, nerf de la guerre : globalement, la ville recevra 90 € par enfant en 2013, qui chuteront à 40 € à la rentrée 2014, et puis plus rien ! Mais, explique Jacques Salvator avec assurance, viendront alors des financements de la Caisse d’allocations familiales et de la Politique de la ville. Jusqu’à présent, personne n’avait jamais entendu parler de tels financements, mais le maire affirme qu’il « connaît du monde », qu’il peut « téléphoner dans certains ministères » (véridique) et qu’on lui a affirmé que des financements complémentaires seraient attribués après 2014. On est rassurés ! D’autant plus que les collectivités locales vont être mises à la diète sévère, avec trois milliards d’euros de dotations d’Etat en moins en 2014 et 2015. Au milieu de cette politique générale d’austérité, il existera un îlot de prospérité, Aubervilliers.
Plusieurs parents d’élèves émettent des doutes sur la qualité des activités péri-scolaires, et s’interrogent sur les intervenants, puisque Daniel Garnier a évoqué la participation de bénévoles... Là, le maire vient à la rescousse. Son équipe rencontre des gens depuis plusieurs semaines. Ils ont des pistes de travail (heureusement, car la rentrée 2013, c’est dans moins de 6 mois). Ils vont solliciter des associations, le Théâtre de la Commune, le Conservatoire à rayonnement régional… pour des activités péri-scolaires de qualité.
Téléphone rouge
Justement, un parent d’élève s’interroge sur la participation du Conservatoire à rayonnement régional. Comment développera-t-il des activités dans les écoles alors que son budget est amputé de 30 % ? Là, re-belote : Jacques Salvator a la solution. Il a appelé le ministère et il affirme que le Conservatoire va retrouver l’intégralité de ses subventions. La preuve, c’est l’article du Monde sur le Conservatoire, auquel il n’est pas étranger. Grâce à cet article du Monde, qui va être lu par des « responsables du milieu culturel », le ministère rétablira la subvention ! Au passage, les enseignants et les parents d’élèves du Conservatoire qui se mobilisent depuis un mois avec des pétitions, des interpellations, des manifestations apprécieront. Il leur suffisait de demander à Jacques Salvator de décrocher son téléphone. S’ils avaient su !
Un parent d’élève s’étonne de l’incohérence de la proposition. La réforme visait à alléger l’emploi du temps des enfants. Or, telle qu’elle est proposée, elle maintient 6 heures d’apprentissage deux jours par semaine. Oui, répond Daniel Garnier, mais c’est pour avoir le temps de faire faire des activités péri-scolaires de qualité.
En résumé, Jacques Salvator sait se servir d’un téléphone pour appeler les ministères. Des experts vont veiller à la mise en place de la réforme. Le maire-adjoint à l’enseignement reconnaît qu’il n’y a pas eu de concertation et que sa proposition sort du chapeau. Mais ce sera comme ça et pas autrement.
Au total, cette réunion se solde par un mécontentement général de tous les acteurs, enseignants, personnel, parents d’élèves, qui se voient imposer une réforme en 2013 qui n’a été ni réfléchie, ni discutée. C’est la version Jacques Salvator du service public, de la démocratie et du respect des interlocuteurs.
Au fait, une idée était curieusement absente hier soir : comment se fait-il que l’Etat, une fois de plus, se défausse de ses attributions sur les collectivités territoriales sans leur donner les moyens d’exercer un service public de qualité ?
Caroline ANDREANI
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