Le courage d’une nouvelle radio-télévision de service public

mercredi 17 septembre 2008

Discours de Jack Ralite aux Etats Généraux de la Culture (15 septembre 2008)

La télévision publique, après les initiatives unilatérales du Président de la République, est en danger. Sa casse est programmée.

D’abord sa précarisation, ensuite sa tutelle par un nœud de pouvoirs où Etat et grandes affaires se tiennent la main.

Certes le Président de la République dit qu’il a lancé une « révolution culturelle ». C’est mal-nommer les choses, et comme dirait Camus cela « ajoute au malheur du Monde » en l’occurrence de la télévision publique qui est partenaire quotidienne de 98,5 % des français avec le rôle que cela implique au plan social, culturel, informatif, de l’imaginaire, de la connaissance, du plaisir, des désirs audacieux de curiosité.

Cela se passe sur deux plans, les financements et les institutions.

Le projet présidentiel des financements ôte au service public la publicité et ne la compense pas « euro à euro ». Il ne considère pas le coût des programmes remplaçant les horaires libérés par la publicité. Il ne prévoit pas de crédits de développement, et s’entête à bloquer la redevance, et offre au secteur privé une partie de la publicité supprimée dans le service public, la double coupure publicitaire dans les œuvres, trois minutes de plus de publicité à l’heure….. En juillet, il a fait voter au Parlement la « loi sur la modernisation de l’économie », autorisant les grandes affaires propriétaires des télés privées à avoir plus de 49 % du capital.

Le déséquilibre est évident,et le privé agit aussi dans ce sens. :

- M. Paolini, PDG de TF1, a une stratégie publicitaire : publicité très chère en soirée, là où la télévision publique n’en aura plus, et publicité bradée, voire gratuite dans la journée. C’est « la concurrence libre et …..très faussée ».
- les industries des « tuyaux » décident de s’occuper des contenus. « Orange », géant économique, affronte ainsi la télévision publique, nain économique.
- En Europe, l’Allemagne veut interdire d’intégrer « internet » dans le service public, l’Angleterre veut redistribuer une part de la redevance à l’audiovisuel privé pour les missions de service public qu’il assume.

Ainsi ici et en Europe, Etats et grandes affaires agissent de concert contre les services publics. On est loin de la définition du service public qu’a faite en France le Conseil Constitutionnel et à Prague, en 1994, le Conseil de l’Europe.

Pour les financements, l’initiative élyséenne est donc une régression.

Le projet présidentiel institutionnel aussi en bichonnant une prise du pouvoir de l’étatisme et de l’affairisme.

Le Président de la République nomme le directeur de la radio télévision publique. C’est la monarchie audiovisuelle.

Le Conseil d’administration de la radio télévision publique (contribution effarante de la commission Copé) aurait 12 membres, 8 du « monde de l’entreprise » majoritaires face à 2 des syndicats et 2 de l’Etat, un au nom de l’Etat « en tant qu’actionnaire », l’autre au nom de l’Etat « en tant que garant de la cohérence de la politique audiovisuelle ». Pour le juriste Serge Regourd, c’est la fable du « Petit Chaperon Rouge » : « c’est pour mieux te dévorer mon enfant ».

En face, il n’y a que la solution d’agir et de ne pas subir. Déjà les personnels et leur intersyndicale ont fait 2 grèves, déjà le mouvement du 2 juin organise après la réunion des « Folies Bergères » une réunion au Châtelet le 15 septembre. C’est bien, mais face à la gravité de l’attaque, tous les concernés, du « in », comme du « off », comme les citoyens, doivent se retrouver sur l’essentiel, par delà leurs revendications catégorielles, si légitimes, même contradictoirement soient-elles.

Nous devons nous entendre sur un projet d’une réelle nouvelle télévision publique qui défend son héritage et dans un même mouvement s’en défend évitant ainsi des « retards d’avenir ».

Dans nombre de lieux aimant la télévision, cette grande invention humaine, on entend bourdonner l’essentiel. Troussons-le et accomplissons-le, sans peur ni corporatisme et voulons ensemble une nouvelle radio télévision de service public où s’épanouiraient :

- un pluralisme vivant, facilitant le débat public, chaque différence n’étant pas indifférente aux autres différences,
- une indépendance par rapport à l’Etat et aux grandes affaires, garantissant les libertés de création et d’information,
- des contenus qui s’expriment dans la considération de la pensée, le partage des connaissances notamment des sciences, le courage de la création, le plaisir de la découverte, l’alchimie de rendez-vous réguliers et de l’inaccoutumance, de nouveaux commencements, le désir de la mêlée où se retrouvent le « je » et le « nous », l’accueil de toutes les pratiques artistiques, le décloisonnement des genres, l’esthétique des œuvres, l’ouverture au Monde, le tragique et le rire, le rejet de tout enfermement, la télévision s’inventant elle-même, croisant l’émotion et l’intelligence, se souvenant de l’avenir, tout cela dans le cadre d’une fonction généraliste défendue avec résolution et tendant vers cette « alliance mystérieuse » dont parlait Maupassant entre programmes et téléspectateurs,
- une modernisation permanente dans ses dimensions sociale, démocratique et technologique,
- un financement suffisant, pérenne, évolutif, croisé, garanti pendant 6 ans. Il ne faut pas proscrire la publicité mais l’encadrer et la diminuer. Il faut mettre à contribution les industries culturelles. Il faut rester attaché à la redevance, cet actionnariat populaire, authentique, qui a fait la télévision française et doit continuer même si elle se limite au début à une indexation,
- des liens internationaux d’abord en Europe où les services publics devraient s’épauler, se nourrir, garantir la production et transgresser les pratiques actuelles.

Tout cela constituerait un cahier des charges de la radio télévision publique et pas une grille de programmes que définira la télévision elle-même.

Cela silhouette une Responsabilité Publique, Sociale, Nationale en matière d’audiovisuel à faire partager à l’Europe et au delà. Cette responsabilité aurait une qualité, une liberté, une éthique telles que le privé ne pourrait l’ignorer.

C’est une grande ambition pour la radio télévision publique. En son cœur nous inversons les rapports entre l’argent et la culture. Dans le projet Sarkozy, l’argent est roi et la culture l’exception. Dans notre projet, la culture sera reine et l’argent l’exception. Ainsi la radio télévision publique qui a fait des progrès dans la dernière période, et qui n’a jamais été assimilable à la radio télévision privée, deviendra un « bien commun » qui sera considéré comme un « bien public ».

Le projet Sarkozien, c’est « les liaisons dangereuses ». Notre projet, c’est un « cercle vertueux ».

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