Allocution de Jack Ralite prononcée pour l’inauguration du square Aimé Césaire à Aubervilliers le dimanche 6 juillet 2008

mardi 8 juillet 2008

« C’est quoi une vie d’homme ? c’est le combat de l’ombre et de la lumière (…) c’est une lutte entre l’espoir et le désespoir, entre la lucidité et la ferveur (…) je suis du côté de l’espérance, mais d’une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté ».

Chacune, chacun d’entre vous,

« C’est quoi une vie d’homme ? c’est le combat de l’ombre et de la lumière (…) c’est une lutte entre l’espoir et le désespoir, entre la lucidité et la ferveur (…) je suis du côté de l’espérance, mais d’une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté ».

Par ces quelques mots, Aimé Césaire, se livre et n’a jamais cessé, de son adolescence à sa mort, d’être concrètement constructeur et adepte de l’espérance conquise.

En donnant au Parc de l’Ecluse, au bord du canal, chanté par Prévert, le nom d’Aimé Césaire, le conseil municipal d’Aubervilliers fait un beau cadeau de pensée à la population.

Au moment où la pensée, le rêve et la raison sont en danger, au moment où le 21ème siècle naissant connaît des apogées du fanatisme, du bâclage et de la médiocrité, je voudrais prendre la main de cet immense poète, de ce grand penseur et cheminer avec vous à travers sa vie exemplaire.

Aimé Césaire est né le 26 juin 1913 dans une famille de Basse-Pointe, au Nord-Est de la Martinique, bordée par l’Océan Atlantique.

Son père était un petit fonctionnaire, sa mère une couturière. Il fut un brillant élève au Lycée Schœlcher de Fort-de-France, et boursier vint à Paris au lycée Louis le Grand, où il rencontre Léopold Sédar Senghor.

C’est là qu’au contact de jeunes étudiants africains, il prend conscience de la composante africaine de l’identité martiniquaise.

En septembre 1934, avec Senghor et le guyanais Léon Gontran Damas, ils fondent le journal « l’Etudiant Noir » où apparaîtra pour la première fois le terme de « négritude ».

« Je suis le poète nègre contre lequel la foudre du temps ne peut rien » disait-il.

Il entre à l’Ecole Normale Supérieure en 1935 et commence la rédaction de son chef d’œuvre : le « Cahier d’un retour au pays natal » qui fit dire à André Breton : « Aimé Césaire est un noir qui est non seulement un noir, mais tout l’homme qui en exprime toutes les interrogations, toutes les angoisses, tous les espoirs et toutes les extases et qui s’imposera de plus en plus à moi comme le prototype de la dignité ».

Il rentre en Martinique en 1939 avec sa femme, Suzanne Roussi, avec qui il enseigne au lycée Schœlcher et fonde en 1941 la revue « Tropiques », en même temps qu’il se rallie au surréalisme et visite Haïti où il séjournera six mois, écrivant un essai historique sur Toussaint Louverture, la Révolution Française et la question coloniale, et ébauchant ce qui devait devenir en 1963 « La tragédie du roi Christophe ».

Ainsi, à la fin de la 2ème guerre mondiale, Aimé Césaire avait mis au centre de sa vie son engagement littéraire et culturel.

Mais la Libération le happe et en 1945, à 32 ans, il est élu, soutenu par le Parti Communiste, maire de Fort-de-France, et en 1946 député de la Martinique à l’Assemblée Nationale, responsabilités politiques qu’il assumera 56 ans comme maire, et 48 ans comme député.

C’est alors que je l’ai rencontré.

D’abord comme député, de 1973 à 1981, où nous eûmes de très chaleureuses discussions, un peu comme un instituteur (lui) et un élève avide (moi).

Ensuite comme ministre de la santé, de 1981 à 1983, lors d’un voyage en Martinique dont la situation sanitaire exigeait d’être très améliorée. J’eus l’honneur d’être reçu dans son bureau de maire où l’on parla santé, mais aussi de sa rupture douloureuse avec le parti communiste français qu’il exprima, le 24 octobre 1956, dans une lettre rigoureuse à Maurice Thorez où je relève cette pépite de pensée : « Que la doctrine et le mouvement soient faits pour les hommes, cela a l’air d’aller de soi. Et pourtant dans les faits cela ne va pas de soi ». Aimé Césaire réclamait là d’en finir avec « l’habitude de faire pour nous, l’habitude de disposer pour nous, l’habitude de penser pour nous » et réclamait « le droit à la personnalité ». Nous avons parlé aussi de l’une de ses œuvres poétiques, « Une arme miraculeuse », riche de symboles et de métaphores où s’articulent si fort le poète et le politique, la parole du poète vérifiant la parole du politique.

Enfin, je l’ai rencontré aussi comme spectateur de théâtre, au Festival d’Avignon, en 1989, où une exposition et de multiples initiatives artistiques le fêtèrent, notamment la nuit du 23 juillet, au Cloître des Célestins, où Antoine Vitez lança l’idée, réalisée en 1991, de faire entrer « La tragédie du roi Christophe » au répertoire de la Comédie Française et fit retentir un livre immortel : « Discours sur le colonialisme » où il dévoile le « mensonge initial ». C’est une immense leçon de morale.

Ni Cortez, ni Pizarre ne protestaient d’être les fourriers d’un « ordre supérieur » disait-il. Ils ont tué, pillé…..sans hypocrisie. « Les baveurs sont venus plus tard » : évangélisation, entreprise philanthropique, volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, élargissement de Dieu, extension du Droit….. « Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser les colonisateurs, à les abrutir au sens propre du mot, à les dégrader, à les réveiller aux instincts enfouis à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral », « il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent mais sûr de l’ensauvagement du continent : l’entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondées sur le mépris de l’homme indigène, sont justifiées par ce mépris, tendent inévitablement à modifier celui qui l’entreprend ». C’est un des plus grand textes universels et singuliers fabriquant « d’hommes debout, libérés du larbinisme et de l’agenouillement » et à cet instant, je pense aux « Assises Européennes contre le Racisme » tenues dans notre ville, les 14 et 15 novembre 1997, à l’Espace Rencontres, en présence, mêlés à un millier de personnes, de Danielle Mitterrand, de l’écrivain Latifa Ben Mansour, de Barbara Masekela, ambassadrice d’Afrique du Sud, de Nikola Kovacs, ambassadeur de Bosnie Herzégovine, de Leïla Chahid, notre amie très chère, de Nourrit Elhanan, professeur israélienne et où témoignèrent des élèves du lycée Le Corbusier d’Aubervilliers :

-  le racisme je ne sais pas ce que c’est. Je ne le comprends pas. Comment un homme peut, en en croisant un autre, se dire : « il est inférieur à moi ».
-  le racisme est une sorte de peur de l’inconnu, de rejet d’un individu différent de soi.
-  le racisme est un torrent de venin qui détruit tout sur son passage.
-  le racisme est une aversion profonde envers l’étranger, pris comme bouc-émissaire des problèmes d’une société en crise.
-  le racisme en Europe possède des différences mais aussi des similitudes. Avec la même haine, le même rejet de l’individu, il ravage les civilisations. Qu’il soit diffus ou mortel, le racisme est le même : il tue l’homme. Ne haïr que la haine.

Aimé Césaire montre que c’est une lutte de tous les instants.

Son œuvre pourrait se résumer ainsi, « l’écriture des libertés ». Il fut un rebelle qui écrivit finalement pour tous les affamés du Monde. Dans ses livres, dans ses mots, on découvre nombre d’« échappées de sens ». Certains diront c’est difficile. Le débroussaillage du passé est toujours difficile, et que dire du débroussaillage des venelles de l’avenir. C’est pourtant le chemin pour échapper au culte du présent qui délite le lien social.

Césaire, comme Germaine Tillion dont vous inauguriez, Monsieur le Maire, la rue portant son nom il y a tout juste une semaine, considérait que sa fonction première était d’ouvrir les yeux à la vie, et non pas de procurer un faux réconfort. Il disait : « l’engagement est nécessaire (…) être engagé cela signifie pour l’artiste être inséré dans son contexte social, être la chair du peuple, vivre les problèmes de son pays avec intensité et en rendre témoignage. Pour citer un maghrébin par exemple, Kateb Yacine est un homme absolument représentatif. Son œuvre reflète les souffrances du peuple algérien qui luttait pour la libération. Elle porte témoignage. C’est cela l’engagement. Toute œuvre d’art, d’ailleurs, à condition d’être profonde porte témoignage (…) ce qu’il faut distinguer c’est le niveau de l’engagement. L’engagement politique est un niveau. Mais ce n’est pas le seul niveau. Le deuxième niveau est celui de l’engagement de l’écrivain et cet engagement est plus fort encore.

Vous voyez qu’il s’agit bien d’un cadeau inestimable de pensée qu’a fabriqué pour tous les humains quels qu’ils soient Aimé Césaire. Mais n’oublions pas que le bonheur de ce cadeau comporte une exigence, une responsabilité qu’exprime sa déclaration : « Ô faire ! faire ! faire ! qui me donnera la force de faire ».

Et il y a à faire aujourd’hui.

Tenez, au Collège Rosa Luxemburg, de jeunes adolescents, invités par leur professeur ont choisi une personne du sexe opposé pour une photo qu’ils ont légendée. A feuilleter l’ouvrage réalisé, on constate « le goût infini de l’autre », qui est cultivé dans cet établissement scolaire. Les élèves ont franchi des « butoirs de pensée » et s’efforcent à faire vivre les mots respect, dignité, décence dans un collège que je qualifierais de « babelien ».

Ces jeunes avec leurs enseignants ont commencé à faire, mais il y a d’autres domaines où faire.

Je me souviens avoir été invité les 24 et 25 septembre 1994 à la 3ème session des « assises de la transformation sociale » qu’organisait le parti socialiste à Vaux-en-Velin. J’y avais évoqué la question de l’immigration. Si le pauvre est vécu comme étrange, si comme le dit si justement l’écrivain Christoph Hein, il y a une peur d’attraper le « bacille de la pauvreté », il suffit d’ajouter « r » à étrange et ça fait étranger. Et qu’est-ce qu’une assemblée communale ? concrètement c’est l’assemblée des hommes, des femmes et de leurs récits. Or comme les immigrés ne votent pas, où est leur récit de l’immigration ? Il y a à faire pour le vote des étrangers.

La semaine dernière, je participais à la mairie de Bondy à un colloque sur le Chili qui a rappelé la solidarité franco-chilienne, elle fut importante à Aubervilliers, sous l’horrible Pinochet contre qui s’est créée et a gagné « cette force de pierre pensive, cette joie des mains rassemblées ».

Aujourd’hui en Amérique Latine qui vient d’illuminer le Monde, avec la libération d’Ingrid Betancourt, d’autres lumières de pensée se sont allumées et sont en train de « supprimer des impossibilités ». A partir de mouvements populaires centrés sur le social et l’émancipation presque tout le continent a basculé vers la démocratie et a osé créer une Banque du Sud dérangeant le FMI, tandis qu’un courrier était écrit par Eva Morales à la pointe du courage et de la dignité contre la « Directive Retour » du Parlement Européen, une directive qui a quelque chose de barbare, qui, comme le diraient les chiliens, est une « compromission avec l’inhumanité ». Cela m’évoque « l’espérance irrévocable » d’Aimé Césaire qui n’a jamais cédé au désenchantement politique, qui fut toujours chaud, amoureux, rebelle, rompant la nuit, ne postulant à aucune hégémonie, déverrouillant demain, notre demain à nous aussi où chacune, chacun d’entre nous doit pouvoir construire et avoir de « nouveaux commencements ».

Faire, comme le « dyali », c’est-à-dire le porte-parole, le troubadour, celui qui a su « entrechoquer les mots comme des ferrements de l’esclave en train de se libérer ».

Précisément, ce mot de « dyali », Aimé Césaire l’a donné à son ami, Léopold Sédar Senghor.

« Tu dis dyali
et Dyali je redis
le diseur d’essentiel
le toujours à redire
et voilà comme aux jours de jadis
l’honneur infatigable

Voilà face au Temps
Un nouveau passage à découvrir
Une nouvelle brèche à ouvrir
Dans l’opaque dans le noir dans le dur »

Je conclue avec un secret désir avoué. J’ai dit le mot de « dyali », oui Senghor en était un, les lycéens de Le Corbusier et les collégiens de Rosa Luxemburg aussi, Ingrid Betancourt oh combien !, les artisans exigeants du vote des immigrés aux élections municipales bien sûr, les initiatives de l’OMJA, de la boutique des Associations et « Musiques du Monde » encore. Et Eva Moralès, et circulant parmi tous, avec cette force d’un des plus grands poètes du 20ème siècle, Aimé Césaire, dont désormais le nom est planté à Aubervilliers, comme un appel à ce que chacune, chacun devenions -c’est déjà commencé- des « dyalis » articulant le « Je » et le « Nous », question capitale et n’oubliant jamais pour se faire l’un de ses messages : « Il y a deux manières de se perdre, par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’universel ».

°±°±°

1 Message

  • Je reviens de faire un tour dans le nouveau parc Aimé Césaire qui est, au demeurant, un beau lieu (passagèrement altéré par les structures de l’Auber plage qui ne poussent guère à la méditation).

    J’ai lu la plaque consacrée à Aimé Césaire. Léna a bien raison de s’indigner.

    Il faut obtenir une réécriture qui introduirait les mots "progressiste" et "anti colonialiste", nettoierait les banalités ("homme d’action et éveilleur de consciences"), ferait disparaître une idiotie (l’honorariat attribué après la mort) et, accessoirement ajouterait les tirets qui font défaut à "Fort-de-France".

    Ca pourrait donner quelque chose comme :

    "Aimé Césaire (1911-2007), homme politique martiniquais, poète et dramaturge, militant progressiste et anticolonialiste, maire de Fort-de-France, député de la Martinique".

    On peut aussi faire plus
    simple : "Aimé Césaire (1911-2007), homme politique martiniquais, poète et dramaturge, militant progressiste et anticolonialiste"

    J’envoie ces propositions à M. Salvator, on ne sait jamais.

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