L’hommage de Pascal Beaudet, au nom du PCF, à Suzanne Martorell
mercredi 9 février 2011
Il y a 48 ans, dans la nuit froide du 8 février 1962 la barbarie policière frappait le cortège pacifique des manifestants anti-OAS à Paris.
Alain Dewerpe, le fils de Fanny, une des victimes, a dit d’une manière quasi définitive ce que fut ce crime d’Etat, cette violence pensée et organisée par le sinistre Maurice Papon en complicité avec tout ce qui constituait la Ve République.
Je ne redirai pas aujourd’hui une description de ce qui s’est passé, non seulement parce que cela est désormais bien connu mais parce qu’à répéter la même histoire on finit par assécher sa signification profonde.
D’une certaine et bien douloureuse manière l’actuelle ministre des affaires étrangères vient de nous inviter à regarder la tragédie de Charonne dans une logique plus ample.
Mme Alliot-Marie qui entretenait, on l’apprend aujourd’hui, des relations plus qu’équivoques avec le régime des Ben Ali-Trabelsi, vient en effet d’entrer dans l’histoire (si l’on peut dire), en proposant l’expertise technique des forces de répression françaises pour mater la révolution tunisienne.
Et l’on dit même que des matériels séjournaient dans des aéroports, prêts à faire route vers Tunis pour équiper les nervis du dictateur et que des hommes s’apprêtaient à encadrer les bandes armées de la dictature pour faire taire la révolte dans la violence.
Voilà donc le scénario auquel nous avons de justesse échappé, non point parce qu’il fut décommandé ou réprouvé mais parce que la vitesse avec laquelle l’insurrection populaire s’est développée a empêché sa mise en œuvre.
Cette affaire brûlante nous conduit à regarder la tragédie du 8 février 1962 d’une manière plus ample. Car le 8 février 1962 ce fut bien sûr la vielle haine policière contre la classe ouvrière et le peuple qui s’exprima mais ce fut aussi autre chose.
Cette autre chose c’est la violence propre aux guerres de conquête coloniales puis de défense de l’Empire.
Car à la haine anti ouvrière s’est très tôt ajoutée la haine des peuples colonisés. Mais en 1962, alors même que s’accomplissait le crime de Charonne, la France colonialiste perpétrait d’autres crimes, en Algérie bien sûr, mais aussi, ce qui est moins connu, au Cameroun.
J’ai découvert, avec effroi, ce que fit alors la France, ou plutôt les gouvernants d’alors dans ce pays. L’expertise de l’armée et des services spéciaux fut déployée. Les leçons de la débâcle indochinoise, les expériences récentes de la guerre faite au peuple algérien furent mobilisées. On emprisonna, tortura, regroupa dans des camps ou des villages ad hoc. On fusilla, on décapita.
Le sinistre dictateur Ahidjo fut le complice zélé de la répression de masse. Les victimes se comptèrent par dizaines voire par centaines de milliers. A vrai dire on ne sait pas bien.
Mais cela importe t’il, au fond quand on déploie l’arrogance du blanc sur sa propre histoire. En tout cas, alors même que les séides de Papon assassinaient Suzanne Martorell et ses camarades, au Cameroun dans ce que l’on appellera « le train de la mort » périssaient par asphyxie vingt-cinq patriotes.
Deux crimes s’accomplissaient ainsi au même moment qui révèlent le colonialisme dans son essence.
Mme Alliot-Marie vient de nous rappeler que tout cela est encore bien vivant, même si les brutalités d’autrefois s’habillent d’atours nouveaux. Au fond c’est toujours la logique de la domination qui règne, la logique des puissants qui veulent soumettre le monde à leurs intérêts.
Et c’est pourquoi le sacrifice de Suzanne Martorell et des ses camarades doit être constamment rappelé dans ce qu’il fut, en signification profonde. C’est notre devoir.
Pascal Beaudet
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