Tunisie, rencontre débat du mercredi 19 janvier 2011 : bourse du travail, Aubervilliers.

Ne pas se laisser confisquer la révolution !

lundi 24 janvier 2011

C’est la préoccupation majeure des intervenants au cours de cette soirée. On a ressenti une rare proximité entre les femmes et les hommes qui manifestent au quotidien dans les villes tunisiennes et les tunisiens d’Aubervilliers. En contact permanent avec leurs proches, leurs amis politiques, syndicaux et associatifs acteurs sur le terrain, ils partagent leur enthousiasme, mais aussi leurs inquiétudes. La situation sociale des pays arabes, mais aussi de leurs ressortissants qui vivent en Europe est marquée par des similitudes avec la situation tunisienne : jeunesse nombreuse, qui même quand elle a un bon niveau d’instruction a du mal à accéder à l’emploi, prix élevés, difficulté d’accès à certains services comme le logement... Et si les mêmes causes ne produisent pas forcément les mêmes effets partout, chacun souligne que ces convergences révèlent une même aspiration de liberté et d’émancipation comme on a pu le constater dans les manifestations de soutien à Paris.

L’organisation animée à Aubervilliers par Fathi Tlili, l’UTIT, a souhaité permettre aux différents acteurs de confronter les analyses, en les croisant avec les témoignages filmés ou enregistrés. Dans un contexte chargé d’émotion et de doute, les manifestations de soutien des organisations politiques et syndicales d’Aubervilliers, appréciées à leur juste valeur par un public attentif, traduisaient à la fois le souci d’affirmer leur solidarité et la volonté de saisir aux mieux les enjeux, les perspectives et les analyses de ceux qui côtoient les acteurs locaux. La question des perspectives a été esquissée à travers l’intervention de Meriem Derkaoui (PCF) qui a dénoncé le piège que représente un système présidentiel en terme de confiscation de la parole du peuple. Le parallèle avec la situation algérienne où le pouvoir est monopolisé par Bouteflika a été repris par nombre d’intervenants, qui refusent toute instrumentalisation des aspirations de la rue.

En finir avec le système Ben Ali

Leila Tlili, au nom des organisations tunisiennes en France a donné lecture du communiqué commun de ces associations, insistant sur trois éléments nécessaires pour assurer la transition démocratique : amnistie de tous les prisonniers politiques, respect des libertés fondamentales et en particulier de la liberté de presse, réappropriation par les organisations démocratiques du patrimoine dont a été spolié le peuple tunisien par le RCD (parti de Ben Ali) en Tunisie et en France. La destruction du système qui s’appuie encore sur de nombreux cadres dans l’administration, la police, des avoirs considérables, un parti qui a compté jusqu’à deux millions de membres, apparait comme un objectif incontournable. Dans ce contexte, la question de la participation au gouvernement provisoire est celle qui fait le plus débat, tant il est complexe de saisir la réalité de rapports de force qui évoluent au jour le jour. Quid des islamistes considérés comme peu influents parce qu’interdits par Ben Ali mais susceptibles de peser sur le jeu politique. Quid de l’armée, peu puissante mais dont personne ne souhaite l’instrumentalisation par une puissance étrangère. Bref, tirant les leçons d’un passé très proche, (Jean-Jacques Karman rappelait le soutien de Dominique Strauss-Kahn au chef d’Etat tunisien qui vient seulement d’être exclu de l’internationale socialiste), la rue tunisienne n’acceptera pas une quelconque ingérence extérieure.

Participer ou pas au gouvernement provisoire ?

Question difficile tant le vide politique risque d’être confisqué par des des forces illégitimes. C’est la position que défend Mohamed Smida, du parti ETTAJDID, (ex parti communiste tunisien) qui souligne la nécessité d’agir vite pour préserver les acquis d’une "révolution à mains nues" et permettre l’élection d’une assemblée constituante qui créée des règles en rupture avec le régime Ben Ali. C’est aussi la position défendue par Iyed Edahmani du PDP, qui, lui aussi, conscient des limites d’un gouvernement dans lequel les ex-partisans de Ben Ali tiennent les postes clés estime que c’est dans ce cadre qu’il faut peser pour obtenir des élections libres, l’amnistie générale, la réappropriation des biens du RCD par la collectivité, la mobilisation du pays. Ce n’est pas le point de vue de l’UGTT, principal syndicat tunisien qui avait pourtant appelé à voter Ben Ali par le passé, dont le représentant à l’international, Fathi DBEK justifie le retrait de ses trois membres du gouvernement provisoire par la volonté de ne pas se compromettre dans un processus contesté par la rue.

Le débat auquel a studieusement participé près d’une centaine de participants aussi passionnés qu’avides de perspectives est loin d’être clos, d’autant plus qu’il connait des retentissements qui, on la vu ce soir, dépassent largement le cadre tunisien. L’exemplarité de ce mouvement a maintes fois été souligné. La discussion a montré que les participants ne voulaient pas en rester au stade de la condamnation du régime et de ceux qui l’ont soutenu, mais contribuer à leur mesure à l’émergence d’une société plus juste.

Éric Plée

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12 Messages

  • Ne pas se laisser confisquer la révolution ! Le 25 janvier 2011 à 06:47, par Et le Maroc ?

    Dans un style différent mais tout aussi opprimant, le Maroc de Hassan II a été comparé à la Tunisie. La camarade marocaine qui est intervenue expliquait que sans doute, des occasions avaient été manquées à ce moment au Maroc. Aujourd’hui, le crédit dont jouit l’actuel souverain après des années de chape de plomb, les structures familiales, le ciment religieux, rendent difficile la construction d’un mouvement émancipateur que l’état de la société marqué par un creusement fort des inégalités, une jeunesse qui a accédé à un bon niveau de culture, une population de plus en plus urbaine qui vit mal... justfie entièrement. Mais beaucoup (les experts !) pensaient aussi cela de la Tunisie !

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  • Ne pas se laisser confisquer la révolution ! Le 25 janvier 2011 à 19:37, par Hannah

    Honnêtement, je me reconnais bien dans l’ambiance que décrit l’article. Je suis quand même inquiète parce que cette révolution est en grande partie possible grâce à internet, facebook et les sms que le système Ben Ali ne pouvait pas contrôler. Mais en fait, c’est la frange des classes moyennes branchée su ces technologies qui en est le moteur de ce mouvement, des gens qui ont accédé à un certain niveau de culture et d’instruction. J’espère que ça suffira. Et j’espère qu’il tiendront parce que si nous obtenons le départ des ministres trempés dans le système Ben Ali, il ne faudrait pas penser que tout est gagné.

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  • Ne pas se laisser confisquer la révolution ! Le 26 janvier 2011 à 10:23, par On veut des comptes rendus objectifs

    Vous ne signalez pas (une nouvelle fois) l’intervention du maire Jacques Salvator, ni celle de Jean-Yves Vannier, secrétaire de section du parti socialiste dans votre compte rendu. Le maire a pourtant insisté sur la coopération que menait la ville depuis de longues années dans le cadre de la jeunesse avec les tunisiens. Celle ci avait d’ailleurs révélé les limites démocratiques du système Ben Ali : les participants a ces rencontres ressentaient fortement le poids du contrôle de la population par la police tunisienne. C’est dommage de ne parler que de Meriem Derkaoui et Jean-Jacques Karman sur des questions qui s’éloignent d’ailleurs de la réalité tunisienne.

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  • Fallait-il en parler ? Le 26 janvier 2011 à 14:25, par Anastasie

    Il est vrai que l’intervention du maire n’a pas été rapportée, mais au fond il y avait si peu à dire hormis quelques propos passe partout. Quant à l’intervention de JY Vannier, on aurait préféré ne pas l’entendre car justifier les propos de DSK il fallait le faire.

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  • Ne pas se laisser confisquer la révolution ! Le 30 janvier 2011 à 00:00, par coup d’Etat permanent

    Meriem Derkaoui a dit que les algériens étaient tombés dans le piège de la présidentialisation du régime avec Bouteflika, en souhaitant que la révolution tunisienne n’aboutisse pas au même écueil. Espérons que ceux qui donnaient à ces régimes des satisfecits de gestion et qui chez eux continuent à promouvoir un système présidentialisé à outrance, notamment en tentant de le légitimer par des primaires, sauront faire preuve d’humilité.

    On peut toujours rêver...

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  • Ne pas se laisser confisquer la révolution ! Le 31 janvier 2011 à 11:04, par Condamnons, condamnons !!!

    le parti socialiste passe son temps sur son blog à publier des condamnations : Ouganda, Egypte, tunisie, Iran... A croire qu’ils ont un staff spécialement affecté à ça. C’est bien sympathique mais qu’a fait le ps par rapport aux ben Ali, Moubarak, à part les accueillir bras ouverts dans l’internationale socialiste et les soutenir ? on attend un peu plus de discernement de la part de responsables politiques qui se disent de gauche !

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  • Ne pas se laisser confisquer la révolution ! Le 31 janvier 2011 à 11:34, par coup d’Etat permanent

    Nasser a généré Moubarak, Bourguiba, Ben Ali ; Boumédienne, Boutéflika ; Mohammed V, Hassan II ; bref les libérateurs ont enfanté le despotisme. comment était-ce possible, quand on sait la situation de ces pays au moment de la décolonisation. Personne ne se pose la question du régime politique présidentiel qui conduit nécessairement à ces dérives. La situation ivoirienne avec une double présidence en est l’illustration la plus caricaturale. Et si on y réfléchit, Washington a engendré Georges Bush, de Gaulle s’est auto-généré avant que le système ne génére un Mitterrand puis un Sarkozy...

    Et dire qu’il y en a aujourd’hui qui en remettent une couche avec les primaires du PS, qui ne légitime qu’un peu plus un système qui a montré ses dérives. Encore un train de retard sur l’histoire...

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  • Ne pas se laisser confisquer la révolution ! Le 10 février 2011 à 20:31, par C.M.

    Merci pour ce papier qui rend compte de la densité du débat et des contradictions qui sont apparues au cours de la soirée. Il est vrai que tout n’a pas été rapporté, mais votre texte a le mérite de se placer à un autre niveau qu’un communiqué de soutien qui n’apporte rien à la compréhension des enjeux.

    Je déplore tout le foin qui est fait sur ce blog autour des élus socialistes "arrivés en groupe et en retard et repartis en groupe et en retard". Je le regrette d’autant plus que je peux vous assurer qu’il y avait dans la salle des militants socialistes sincères qui ont apprécié la tenue de ce débat et qui attendaient autre chose que certaines déclarations politiciennes.

    En tout cas merci pour votre rigueur dans le compte rendu que vous avez fait, qui est utile aussi à ceux qui n’ont pu être présents. Je souhaite un large soutien à l’initiative pour Gaza.

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  • Ne pas se laisser confisquer la révolution ! Le 11 février 2011 à 22:22, par Quand Bartolone ne défend pas les PPP, il défend Ben Ali

    http://www.youtube.com/watch?v=qYP3... Où l’on voit Bartolone (alias monsieur PPP*) expliquer sur BFM TV que Ben Ali avait trouvé un compromis entre une marche un peu plus lente(sic) vers la liberté et un progrès dans l’accès à l’instruction pour garçons et filles. Le pire c’est que son contradicteur sur le plateau qui au passage l’a envoyé dans les cordes, étaient un député socialiste du 93.

    D’accord, c’est un peu long, mais c’est pas inintéressant.

    *PPP : partenariats publics privés : moyens par lequel un groupe du BTP finance et construit un équipement public, en est propriétaire pour une durée déterminée par contrat (20, 30 ans...) et perçoit de la collectivité publique un loyer pendant cette période. Voir à ce sujet les articles sur le site, et notamment le dernier aubercom.

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  • Ne pas se laisser confisquer la révolution ! Le 11 février 2011 à 23:02, par solidarité Tunisie

    Que pense Evelyne Yonnet des propos scandaleux de Claude Bartolone ?

    Elle qui ne manque pas une occasion de se faire prendre en photo avec lui (voir son blog de campagne électorale), va-t-elle se désolidariser clairement de tels propos ?

    En tout cas, il est exclu de voter pour une candidate qui s’affiche avec un tel personnage !

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  • Ne pas se laisser confisquer la révolution ! Le 12 février 2011 à 16:43, par Viens apporter ton soutien à Gaza, Victor L, tu comprendras mieux

    Je recommande à Victor L le visionnage de l’extrait suivant. Il suffit de cliquer dessus pour que ça apparaisse http://www.youtube.com/watch?v=qYP3... On y voit Bartolone qui nous explique que la situation est très complexe en Tunisie et que la responsabilité de l’évolution du régime appartenait à Ben Ali (il étaient encore membre de l’internationale socialiste) c’est lui qui selon Bartolone avait conduit le pays à une marche un peu plus lente vers la démocratie. Victor aurait du venir à la soirée Tunisie soutenue entre autres par le PCF, ou à défaut, lire l’excellent compte rendu qui en a été fait, ou encore, et c’est pas trop tard, venir à l’après midi de soutien à Gaza pour apprécier la position des communistes. Ce n’est pas parce qu’un régime politique n’est pas irréprochable, qu’il faut, sous prétexte de complexité de la situation (au demeurant toujours complexe), soutenir le dominateur.

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  • Ne pas se laisser confisquer la révolution ! Le 11 mars 2011 à 08:43, par Dit "plôme" : "plôme"

    Les ressortissants français qui ont eu le courage de rester en Tunisie se sont vus remettre un diplôme par le gouvernement provisoire, en remerciement de leur contribution économique au fonctionnement du pays dans cette période de transition. On ne sait pas si Strauss-Kahn, les parents d’Alliot Marie, ou Bartolone ont reçu cette distinction.

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