Inauguration de la rue Germaine Tillion

samedi 28 juin 2008

Le groupe communiste et citoyen – Tous ensemble pour Aubervilliers ! approuve ce changement de dénomination (voir dans la rubrique « groupe des élus », l’intervention à ce propos de Patricia Latour).

Voici, en hommage complémentaire, l’essentiel du beau texte (signé de Lucien Degoy) publié dans L’Humanité au lendemain du récent décès de Germaine Tillion.

Germaine Tillion, l’engagée du genre humain

Germaine Tillion, l’ethnographe, la résistante, l’humaniste a été un observatrice hors pair de la société, des rebelles à l’ordre des choses, des révolutionnaires, osons le mot, même s’il peut paraître incongru appliqué à Germaine Tillion, mais il y a tellement de façons d’être révolutionnaire… C’est qu’avec elle, on a affaire à un personnage qui « mène dans un même mouvement action et réflexion », comme le note l’historien Tzvetan Todorov, coordinateur du beau recueil collectif Le Siècle de Germaine Tillion (éditions du Seuil 2007).

Sa vie commence comme celle d’un savant - ce qui pour une femme n’est pas si courant dans les années 1930, mais elle est vite réorientée par la marche du monde : l’effondrement de la France en 1940, qui la précipite dans l’action publique, qu’elle ne quittera plus. Elle s’y conduit en héroïne sage, manifestant une lucidité que confirmera pleinement le cours des événements.

Germaine a vingt ans à peine lorsqu’elle suit en 1925-1926 les cours de Marcel Mauss au Collège de France. C’est un maître qui a marqué l’école française des sciences humaines (…). Germaine Tillion est déjà une jeune femme à l’esprit vif, indépendant, intrépide, dont le père, magistrat et écrivain, qui a lancé la collection des « Guides bleus » chez Hachette vient de décéder d’une pneumonie.

Née à Allègre, bourg de Haute-Loire, en 1907, elle a fait ses études dans une institution catholique à Clermont-Ferrand, puis en région parisienne lorsque la famille (elle a une soeur plus jeune) s’est installée à Saint-Maur-des-Fossés au début des années 1920. Émilie Tillion, sa mère, travaille aussi à l’édition des « Guides bleus ». Lorsque le père meurt, Germaine aide sa mère dans son travail, tout en poursuivant ses études d’archéologie, de préhistoire, de langues et civilisations africaines. Elle restera d’ailleurs très proche de sa mère, jusqu’à sa disparition en mars 1945 dans une chambre à gaz du camp nazi de Ravensbrück où elles furent l’une et l’autre déportées.

C’est en 1934 que la jeune ethnologue obtient une bourse de recherche pour une mission dans les Aurès, dans l’Est algérien, auprès des tribus semi-nomades des Ah-Abderrahman. Ce séjour, qui sera suivi de plusieurs autres, marquera toute sa vie savante : il sera à l’origine de sa thèse, qu’elle commencera à la prison de Fresnes en 1943, mais qui sera perdue durant la déportation à Ravensbrück.

Ces travaux et ceux qu’elle reprendra en 1954-1955 dans le cadre d’une mission d’enquête officielle sur le sort des populations civiles dans les Aurès feront la substance de son grand œuvre sur les femmes méditerranéennes, Le Harem et les cousins, publié en 1966. Dès 1939, elle a publié ses premières études sur les institutions et les rites berbères. Elle est entrée au CNRS et c’est au retour d’un de ses voyages, cinq jours avant l’entrée des Allemands dans la capitale, qu’elle choisit de résister, avant même d’avoir écouté le message gaulliste. « On ne pouvait pas supporter l’Armistice », dira-t-elle simplement à propos de « cette première phalange », le réseau qui se constitue au sein même du musée de l’Homme et qui sera décimé au printemps 1941. Elle a échappé à la police et reconstitue immédiatement un autre réseau, mais elle est arrêtée en août 1942 sur dénonciation d’un abbé. Maintenue au secret six mois, elle est déportée en octobre 1943.

À Ravensbrück, dont elle perçoit immédiatement le caractère mortifère, elle rassemble les énergies, organise la survie. Elle décrypte aussi les rouages du système et ses soubassements économiques, estimant que c’est le meilleur moyen d’aider ses « soeurs de résistance » à se défendre. Elle prend des notes, inscrit surtout dans sa mémoire prodigieuse les observations et réflexions, tissant la trame de Ravensbrück, l’ouvrage collectif qui paraît début 1947 lors du procès des responsables du camp à Hambourg. Elle écrit aussi en cachette Le Verfügbar aux enfers, une opérette qu’elle joue à la dérobée devant ses camarades hilares, où elle manie l’autodérision et l’humour noir comme une arme de subversion face à la monstruosité.

Ce texte, retrouvé soixante ans après dans une malle de son appartement de Saint-Mandé où elle vivait depuis 1945, est une magnifique illustration de ce souci de prise de distance et de hauteur qui caractérise son style et son enseignement, cette croyance en la vertu éducative de la connaissance et de la recherche, toujours pragmatique, de la vérité. On le retrouve dans chacun des combats que mène l’infatigable ambassadrice du genre humain qu’elle est devenue.

Elle soutient durant la guerre froide l’action de la Commission internationale contre le régime concentrationnaire fondée par David Rousset, qui dénonce le goulag stalinien, mais aussi les camps, les prisons en Algérie en 1957, puis les crimes de Franco et les prisons grecques. La misère de l’Algérie, où elle est retournée en 1954 à l’invitation du gouverneur général, son ami Jacques Soustelle, lui est intolérable. Elle imagine et met en place la politique des centres sociaux visant à combattre par l’éducation les discriminations frappant les pauvres. Lorsque l’embrasement se produit et qu’éclate la guerre d’indépendance, la répression, les exécutions capitales et les attentats, elle croit à une issue pacifique, rencontre clandestinement Yacef Saadi, chef du FLN à Alger. Elle publie L’Algérie en 1957, témoignage accablant, puis Les Ennemis complémentaires en 1962, où elle progresse dans son rejet d’une guerre sans issue. Elle ne prendra jamais parti néanmoins pour le camp algérien, intercédant auprès de De Gaulle, ce qui lui sera reproché par Simone de Beauvoir, même si elle dénonce infatigablement les condamnations à mort et la torture.

La guerre terminée, Germaine Tillion s’engage, à côté de son enseignement à l’École pratique des hautes études, dans une intense activité internationale, participant à des missions de l’OMS, de l’ONU, sur la situation des femmes, des colloques scientifiques et culturels en Afrique où s’accélère le processus de décolonisation. En 1996, elle participe au premier collectif de soutien aux sans-papiers. Couverte d’honneurs (grand-croix de la Légion d’honneur en 1999) qu’elle accueille avec distance, elle publie Il était une fois l’ethnographie en 2000.

C’est l’année où elle cosigne L’Appel des douze pour la reconnaissance et la condamnation de la torture durant la guerre d’Algérie. Dans un de ses nombreux entretiens donnés à L’Humanité, elle eut ces mots qui résument peut-être son expérience de l’humain : « Même dans les armées les plus tordues, même dans les groupes les plus malfaisants, on trouve des gens prêts à écouter autre chose que la musique de mort. C’est un phénomène universel. »

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