Tribune
Faut-il un internat pour Aubervilliers ?
vendredi 25 juin 2010
La ville d’Aubervilliers a décidé d’ouvrir en septembre 2010 un internat à Bury, dans le Val d’Oise, où elle possède une propriété. 20 enfants de CM1, CM2 et 6ème auront droit à l’excellence (c’est le terme générique utilisé pour qualifier ce type de structure), pour un coût de fonctionnement de plus de 200 000 euros par an, sans compter l’investissement. Il faut ajouter à cela deux postes de professeurs des écoles pris en charge par l’éducation nationale, soit un enseignant pour 7 ou 8 élèves ; les 6èmes seront scolarisés dans le collège local. On aimerait bénéficier des mêmes conditions d’étude pour tous, alors même que régulièrement, tout au long de l’année, de nombreux enfants n’ont pas eu classe, faute d’enseignants remplaçants en nombre suffisant. (Début juin, 125 enfants à l’école Jean Macé, soit 5 classes, sont restés sur le carreau). De la même façon, ces 20 enfants bénéficieront de moyens pédagogiques renforcés, par exemple d’ordinateurs portables alors même que le conseil général de Seine Saint Denis supprime le chèque informatique alloué au millier de jeunes albertivillariens qui entreront au collège en septembre.
Mais mode des temps oblige, l’internat est désormais bardé de toutes les vertus pour résoudre les problèmes d’une jeunesse dite en échec. Éloigner les jeunes de leur environnement immédiat est à priori très séduisant. D’ailleurs l’académie de Créteil a récemment ouvert une structure d’accueil de cette nature pour transplanter des collégiens du 93 en Seine et Marne, au milieu des betteraviers. Il est d’ailleurs bien difficile d’avoir un bilan circonstancié de l’expérience. Mais pas besoin d’être spécialiste en sciences de l’éducation pour savoir que la concentration d’enfants en situation difficile ne peut entrainer de dynamique positive sur le groupe, malgré les moyens considérables affectés à ces structures. C’est aussi pour cela que réapparait le concept d’élève en situation de fragilité qui gagnerait à bénéficier d’un environnement porteur, ceci, afin d’apporter une mixité dans le recrutement des futurs internes.
Développement durable et nouvelles technologies : projet innovant ou tarte à la crème ?
La Ville d’Aubervilliers s’affiche dans cette logique. À croire que les enfants qui ont ce profil ne peuvent tirer profit de structures comme Aubervacances-Loisirs, L’OMJA, Les médiathèques, les équipements sportifs et culturels, contrairement à leurs ainés. Toujours est-il que l’internat devrait ouvrir en septembre, même si aucun élève n’y était inscrit à la date du 22 juin. A croire qu’il n’est pas utile pour les familles de préparer leur enfant à une telle perspective. Il n’y a que la municipalité pour le penser, puisque même l’Éducation Nationale préconise une ouverture après les congés de la Toussaint.
Mais peu importe, l’internat sera doté d’un projet pédagogique innovant (sic) : développement durable et nouvelles technologies. Tarte à la crème des dix dernières années, cette double dimension constitue l’épine dorsale du projet, dans laquelle les enseignants nommés "mercredi dernier" (soit le 16 juin) se fondront naturellement, conservant une latitude de fonctionnement à la fois inhérente à leurs missions et à un projet conçu avec suffisamment de souplesse pour être adapté (sic). On ne peut qu’être sceptique par rapport à une telle approche dans la conception du projet. Le caractère expérimental et la mise à disposition d’un chercheur en sciences de l’éducation ne saurait servir de réponse convaincante à un discours verbeux sur le vivre ensemble et la refonte des rythmes scolaires qui curieusement est mise en avant au moment où le gouvernement français cite en exemple le système éducatif allemand qui produit les plus mauvais résultats scolaires en Europe.
Mode des temps oblige encore, l’encadrement hors temps scolaire sera essentiellement assuré par des emplois précaires (3 C.A.E. et un coordonnateur). Outre le caractère déstructurant de ce type d’emploi, on peut s’étonner que l’encadrement d’enfant qui mérite qualification et continuité, soit assuré de la sorte. On comprend mal qu’une municipalité qui se dit progressiste et dont de certains élus, enseignants ou anciens enseignants, qui ont dénoncé ces pratiques, les mettent en œuvre aujourd’hui.
Il est regrettable que la caisse des écoles, structure porteuse du projet, ait été amenée à se prononcer le 22 juin sans qu’un minimum de garanties soient prises : pas de représentant de l’éducation nationale, pas de concertation préalable avec les associations de parents d’élèves, ni avec les représentants des enseignants. Il s’agit d’un projet mené à la hussarde dont on se dit qu’il ne serait peut-être pas inintelligent de le réétudier. Pourquoi pas permettre à Bury l’accueil de classes transplantées ? D’ailleurs Aubervacances-Loisirs le fait depuis des années dans son centre de Saint Hilaire. À raison de séjours d’une semaine, ce sont 30 à 50 fois plus d’enfants qui pourraient être accueillis à Bury en une année, soit 750 à 1000 enfants. Ce serait sans doute plus profitable à la collectivité, et même en terme d’affichage, ça ferait plus sérieux !
Eric Plée
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