
Article de Jack Ralite, paru dans l’Humanité Dimanche de cette semaine
Pour Ferrat, "l’idée communiste était belle"
mercredi 24 mars 2010
Jean Ferrat était un humaniste. Il ne supportait pas les injustices. Chaque
fois, il réagissait au quart de tour. Son histoire avec la déportation
de son père et l’accueil dans une famille communiste a sans doute joué
un grand rôle. Dès la fin de la guerre, il est engagé dans les combats pour la liberté. Cela s’est traduit dans ses chansons comme dans sa vie
quotidienne. Jean avait toujours une histoire à raconter, une injustice dont il
était témoin. Il était un manifestant en chansons, en poèmes, en actions.
Il était d’une grande fidélité à ses idées communistes. Mais il était d’une fidélité lucide, pas d’une fidélité religieuse. Juste après chute du mur de Berlin, il dénonce ce qui s’est passé en URSS mais réaffirme que "l’idée communiste est belle". Fidèle aux marins du Potemkine, il est persuadé que "le cri révolutionnaire reste et restera". Il chante "Camarade", une merveilleuse chanson où il exalte le mot tout en dénonçant ce que les camarades allaient faire à Prague en 1968.
Jean était fondamentalement rebelle. Il entretenait avec Parti communiste
une véritable amitié. Il était fidèle au mot "Communiste" pas à une
organisation. Chaque fois que Parti se battait pour une cause juste et belle, il répondait présent. C’était un homme du peuple, d’allure et d’habit. Jean Ferrat était un modeste sans épate, un homme simple, une bijouterie humaine. On avait toujours envie de le revoir tellement il respirait la bonté. C’était un juste.
Nous avons mené beaucoup de batailles ensemble notamment pour la culture qu’il tenait pour une question de civilisation et pour laquelle il était d’une solidité extraordinaire, ne cédant jamais. En 2003, sur plateau du Larzac, nous avions fait une réunion ensemble après l’annulation d’Avignon. Il y avait plus de 1000 personnes et ce fut un moment de bonheur. Ou encore en 1987, où était intervenu, à minuit, lors des états généraux de la culture devant un Zénith plein à craquer. Il avait fait une magnifique intervention, simple et courte, comme souvent, sur le thème central de la soirée : "Quand un peuple abandonne son imaginaire aux grandes affaires, il se condamne à des libertés précaires.
Très récemment, il me demandait de ne pas lâcher sur le droit d’auteur, qui lui tenait tant à cœur. Jean Ferrat fut aussi un passeur de écriture aragonienne. Il était un frère de cœur, de rébellion et d’élan d’Aragon. Le plus beau cadeau qu’il ait fait est de mettre en musique et d’interpréter tant de chansons mêlant les mots, le sens et l’amour.
Si on devait choisir, je retiendrais de ses chansons le cri révolutionnaire de
"Potemkine" mais aussi "Ma France" (dont les paroles sont reproduites ci-dessous), où il cite Robespierre et le fait coller à l’idée du pays contre toutes les falsifications. On mesure là toute sa rigueur et sa fidélité avec le réel et avec le peuple. Jean chantait aussi merveilleusement l’amour. Dans l’intimité, il devait bien dire "je t’aime".
Jack Ralite, dans l’Humanité Dimanche du 18 mars 2010
Paroles de "Ma France"
De plaines en forêts de vallons en collines
Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j’ai vécu à ce que j’imagine
Je n’en finirais pas d’écrire ta chanson
Ma France
Au grand soleil d’été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d’Ardèche
Quelque chose dans l’air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France
Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France
Celle du vieil Hugo tonnant de son exil
Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines
Celle qui construisit de ses mains vos usines
Celle dont monsieur Thiers a dit qu’on la fusille
Ma France
Picasso tient le monde au bout de sa palette
Des lèvres d’Éluard s’envolent des colombes
Ils n’en finissent pas tes artistes prophètes
De dire qu’il est temps que le malheur succombe
Ma France
Leurs voix se multiplient à n’en plus faire qu’une
Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs
En remplissant l’histoire et ses fosses communes
Que je chante à jamais celle des travailleurs
Ma France
Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches
Pour la lutte obstinée de ce temps quotidien
Du journal que l’on vend le matin d’un dimanche
A l’affiche qu’on colle au mur du lendemain
Ma France
Qu’elle monte des mines descende des collines
Celle qui chante en moi la belle la rebelle
Elle tient l’avenir, serré dans ses mains fines
Celle de trente-six à soixante-huit chandelles
Ma France
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