Que s’est-il donc passé à Aubervilliers en décembre 1940 ? (2ème partie)
mercredi 21 octobre 2009
Cet article fait suite à l’article Que s’est-il donc passé à Aubervilliers en décembre 1940 ? (1ère partie)
Les circonstances de l’édition du retirage de Résistance
L’impression d’un bulletin, même modeste (deux recto-verso format A4) et de tirage limité (400 à 500 exemplaires) ne va pas de soi. Léon-Maurice Nordmann s’est en effet contenté, ainsi qu’on l’a dit, de remettre un exemplaire type de Résistance [1]. Il faut donc se débrouiller avec les moyens du bord [2].
Fortier se procure du papier et de l’encre à l’usine de papiers Martin installée à La Courneuve où il travaille. Les stencils utilisés seront ceux disponibles à l’aéro-club. Reste le problème de la frappe. Gabriel Dupleix dispose d’une machine à écrire personnelle qui fera l’affaire.
Albert Comba rencontre le samedi 28 décembre au matin Dupleix lors d’un rendez-vous fixé par téléphone dans le quartier de la gare du Nord et lui remet les stencils pour qu’il les tape à son domicile. Albert Comba envoie Roger Robi récupérer les stencils dans l’après midi. En soirée le tirage est entrepris mais doit être interrompu, un stencil ayant été placé à l’envers.
Les stencils sont hors d’usage et il faut donc en retaper de nouveaux. Albert Comba se rend en conséquence chez Dupleix le dimanche matin pour les récupérer. Cinq cents exemplaires sont en définitive imprimés en soirée par Comba, Fortier et Robi et répartis dans des enveloppes. Les stencils sont brûlés et la ronéo sommairement camouflée sous des tôles.
Les tracts sont placés pour partie dans une valise appartenant à Fortier que Comba transporte chez lui. Robi emporte également neuf enveloppes qu’il a pour tâche de distribuer à des adresses indiquées.
La répression
Au cours des jours précédents, les allées et venues des jeunes gens ne paraissent pas avoir été très discrètes. En tout cas une « information » parvient au commissariat d’Aubervilliers faisant état d’allées et venues suspectes ainsi que de l’existence d’ « un bruit régulier analogue à celui fait par une machine d’imprimerie » [3]. C’est sur la base de cette « information » que le commissaire d’Aubervilliers Georges Betchen [4], va perquisitionner, au matin du lundi 30 janvier, le local de l’aéro-club.
Les policiers y découvrent la ronéo sommairement dissimulée sous des tôles et portant encore des traces toutes fraîches d’encre noire. Ils mettent aussi la main sur divers papiers qui leur permettent d’identifier Albert Comba et Roger Fortier comme vraisemblablement impliqués dans l’usage de la ronéo.
Les policiers se transportent immédiatement au domicile d’Albert Comba. Ils y découvrent la valise emportée la veille qui contient treize enveloppes de grand format renfermant chacune une vingtaine d’exemplaires de Résistance. Dans la valise sont également trouvés deux tubes d’encre, l’un vide, l’autre à moitié plein. Albert Comba est absent de son domicile et son frère indique aux policiers qu’il se trouve à son travail, à l’usine Garnier, place de la Gare à La Courneuve. Les policiers s’y rendent aussitôt et procèdent à son arrestation. Direction le commissariat pour l’interrogatoire.
Albert Comba reconnaît rapidement qu’il a participé à l’impression des tracts retrouvés à son domicile et donne les coordonnées de ceux qui ont réalisé le tirage de Résistance ainsi que l’identité de « Léon ».
De plus la police découvre sur Comba une liste comportant vingt-trois noms et adresses où des tracts doivent être livrés. Au verso de la liste se trouve d’autre part l’inscription suivante : « 13, rue de Pantin Aubervilliers – autobus 50 porte de la Villette, arrêt rue du Midi ». Le commissaire apprécie cette inscription comme une « indication [correspondant] aux moyens de parvenir à l’adresse dite, où ont été fabriqués les tracts ».
Au cours de l’après-midi, Fortier, Dupleix et Robi sont interpellés [5]. Si rien de suspect n’est trouvé au domicile de Fortier, il n’en est pas de même chez Dupleix ou la police découvre deux tracts dont un exemplaire de Résistance ainsi qu’une machine à écrire de marque Olympia sur laquelle Dupleix reconnaît avoir frappé les stencils. La perquisition au domicile de Robi ne donne rien mais, lors de son arrestation, effectuée postérieurement, Robi a avec lui une valise dans laquelle se trouvent quatre enveloppes identiques à celles découvertes chez Comba et renfermant des exemplaires de Résistance. Robi déclare qu’il devait distribuer neuf enveloppes mais qu’il n’a pu le faire qu’à cinq adresses (qu’il donne d’ailleurs à la police avec l’identité des destinataires).
Interrogés, Fortier, Dupleix et Robi, confrontés aux déclarations de Comba reconnaissent très rapidement les faits.
En fin d’après-midi, le commissaire d’Aubervilliers peut rédiger son rapport conclusif dans lequel il inculpe Comba, Fortier, Dupleix et Robi de « fabrication de tracts d’inspiration étrangère, de détention en vue de la distribution et de distribution de tracts » et les fait conduire « devant Monsieur le Procureur de la République, à qui nous transmettons notre information ».
Le 4 janvier 1941, le procureur de la République, Maurice Gabolde [6], transmet au Procureur général un rapport synthétique sur l’affaire indiquant que son « parquet a requis, le 31 décembre 1940, l’ouverture d’une information contre Nordmann, Robbe (sic), Fortier, Dupleix, Comba et autres, en chef d’infraction aux dispositions du décret du 24 juin 1939 réprimant la publication et la distribution de tracts d’inspiration étrangère et à celles du décret du 1er septembre 1939 réprimant la publication des informations susceptibles d’exercer une influence fâcheuse sur l’esprit des Armées et des populations.
Comba, Fortier, Dupleix et Robbe (resic) ont été placés sous mandat de dépôt et le magistrat instructeur, qui a lancé des mandats d’amener contre Me Nordmann et Me Veil-Curiel, a délivré à la Police judiciaire une commission rogatoire d’une portée générale à l’effet de continuer l’enquête et de procéder à toutes perquisitions qui s’avéreraient utiles ».
En post-scriptum, M. Gabolde ajoute : « J’ai l’honneur de vous rendre compte que je viens d’être informé par les autorités allemandes qu’elles entendaient se saisir de cette affaire. Le dossier de la procédure et les pièces saisies leur seront remis le six janvier prochain ».
En fait, dès le 31 décembre 1940, au lendemain donc des perquisitions et inculpations d’Aubervilliers, la police judicaire, sur ordre du juge d’instruction au Tribunal de première instance de la Seine Georges Pottier, a perquisitionné (d’ailleurs sans résultats) au domicile des personnes figurant sur la liste trouvée en possession d’Albert Comba. Des mandats d’amener ont été délivrés contre Léon-Maurice Nordmann et André Veil-Curiel absents depuis plusieurs jours de leur domicile.
L’inculpation des « jeunes aviateurs » d’Aubervilliers ouvre donc la voie à la chasse policière de deux résistants d’importance. Elle débouchera quelques jours plus tard sur l’arrestation par les allemands de Léon-Maurice Nordmann et s’articulera avec le processus de démantèlement de la première génération du réseau du Musée de l’Homme. En ce sens l’affaire du retirage du n° 1 de Résistance par les « jeunes aviateurs d’Aubervilliers » se situe en antichambre d’un épisode tragique de la Résistance.
Jacques James, André Narritsens et Bernard Orantin
Notes
[1] Ce fait exprime la faiblesse logistique du « Réseau du Musée de l’Homme ».
[2] Selon les déclarations de Roger Robbi, Léon-Maurice Nordmann se serait rendu au local de l’aéro-club le dimanche 22 décembre dans l’après-midi « pour voir ce que nous avions comme matériel pour tirer les tracts ».
[3] Rapport du commissaire d’Aubervilliers sur la perquisition effectuée au domicile d’Albert Comba.
[4] Georges Betchen s’est déjà illustré dans la chasse aux communistes. Tout au long de l’Occupation il agira avec un zèle particulier contre les résistants. Il sera, à la Libération, condamné à vingt ans de travaux forcés.
[5] Les circonstances dans lesquelles se déroulent les interpellations ne sont pas connues, les rapports en rendant compte ne figurant pas dans les archives.
[6] Maurice Gabolde est nommé Procureur général à Paris le 1er janvier 1941. Il participe à la rédaction de la loi du 14 août 1941 (à effet rétroactif) qui crée les sections spéciales dans chaque cour d’appel qui peuvent prononcer sans possibilité de recours des peines capitales contre les communistes et les anarchistes. Du 26 mars 1943 au 17 août 1944 il est Garde des Sceaux dans le gouvernement Laval. Il s’enfuit en Espagne en 1945. Il est condamné à mort par contumace par la Haute cour de justice, le 13 mars 1946.
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