Résistants d’Aubervilliers
25 août : la Libération de Paris et de sa banlieue
mardi 18 août 2009
A une semaine du 25 août, date symbolique de la Libération de Paris et des communes proches, par delà le moment important mais factuel que représente la commémoration de la Libération, se pose dans la ville la question de la mise en évidence et de la valorisation des femmes et des hommes d’Aubervilliers qui payèrent le prix du sang à leur engagement antifasciste.
Nous donnons, en illustration à notre propos deux photographies de résistants illustres qui eurent affaire à Aubervilliers :
Gaston Carré (ancien des Brigades internationales et initiateur de la lutte armée en région parisienne, fusillé le 21 octobre 1942.)
Pierre Georges, « le colonel Fabien » (ici en tenue de brigadiste en Espagne), qui avait installé son poste de commandement clandestin au n° 12 de la rue portant maintenant son nom, de juin 1943 à août 1944, et qui le 27 août 1944, saluait devant la Mairie d’Aubervilliers les FTP montant au combat vers le secteur du Bourget.
Ce sont là des Résistants célèbres, en tout cas s’agissant de Fabien.
Mais Gaston Carré, parle t-il aux habitants d’Aubervilliers ? Rien n’est moins sûr car le temps a passé, et ce qui, autrefois, était de mémoire immédiate ne l’est plus. Il suffisait à la Libération de poser un nom sur une plaque pour que tout le monde sache de quoi et de qui il était question. Mais que disent aujourd’hui les noms de Régine Gosset, Charles Grosperrin, Adrien Agnès, Yvonne Carré, Lopez Martin…
Quand Pascal Beaudet était maire, une commission s’était réunie pour travailler à un projet de restauration signalétique de la ville. Le première partie du projet était constituée par les Résistants. Un plan pluriannuel de réalisation était envisagé et l’on se proposait de réfléchir à de plus vastes opérations de caractère ethnographique rappelant aussi la mémoire de lieux et d’activités disparues.
Ces projets d’évidence abandonnés demeurent, nous semble t-il toujours pertinents.
Ajout du 13 novembre 2010 :
En octobre 2009, nous avons publié, en deux parties, dans la rubrique « Histoire/chiffes » du site, une étude sur les événements intervenus en décembre 1940 à Aubervilliers à propos du retirage d’un numéro du journal clandestin « Résistance ».
Le 8 avril 2010, quelques éléments supplémentaires ont été fournis dans la rubrique « mégaphone » accrochée aux textes d’octobre 2009.
Suite à de nouvelles recherches effectuées aux archives de la Préfecture de police de Paris, des éléments nouveaux importants ont pu être retrouvés. Soucieux de vérité historique et souhaitant monter que la recherche en histoire est par nature compliquée, nous les mettons à la disposition des usagers du site.
Jacques James/André Narritsens/Bernard Orantin
Nous sommes en mesure d’apporter un certain nombre de précisions concernant l’affaire desjeunes aviateurs d’Aubervilliers suite à la consultation aux archives de la Préfecture de police de Paris des dossiers d’épuration du Commissaire Georges Betchen, du brigadier Marius Bianchery et de l’agent Marcel Moreau.
Ces précisions concernent notamment la dénonciation du groupe, les circonstances de la découverte de la liste détenue par Albert Comba, l’atmosphère régnant au commissariat d’Aubervilliers, les condamnations prononcées, le commissaire Georges Betchen.
1 - la dénonciation du groupe
Les documents d’archives attestent que la dénonciation [1] du groupe des jeunes aviateurs a été le fait d’un dénommé Eugène Lefèvre qui habitait dans un logement donnant dans la cour du 13 rue de Pantin. C’est d’évidence un personnage trouble. Né le 14 novembre 1914 à Carsix dans l’Eure, il exerce, semble t’il, la profession de transporteur 8 rue Erard à Paris. Il pratique très certainement le marché noir et déclare avoir ses entrées au commissariat d’Aubervilliers. Le commissaire Betchen déclare le connaître sans plus mais l’utilise sans doute comme indicateur. En récompense de sa dénonciation du groupe des jeunes aviateurs il lui octroie des bons pour 80 litres d’essence et d’autres avantages par la suite (des facilités de circulation pour ses camions notamment).
En tout cas Lefèvre est bien l’agent déclencheur de l’opération de police.
Albert Comba explique en 1945 les circonstances dans lesquelles Lefèvre fut informé de l’activité du groupe : « Le 29 décembre 1940, vers 21 heures, comme nous étions mes camarades et moi, en train de terminer l’impression de 500 tracts, un nommé Lefèvre, qui habitait dans la cour de l’immeuble, est venu nous trouver pour voir ce qui se passait dans notre atelier. Lefèvre nous ayant vu en fin de tirage, a insisté pour avoir des tracts. Comme mes camarades ne s’y opposaient pas, je lui ai remis deux tracts, confiant dans les décorations qu’il arborait, après lui avoir déclaré toutefois que s’il nous dénonçait, je ne l’oublierai jamais… ».
Albert Comba et ses camarades vont payer très cher ce qui est beaucoup plus qu’une imprudence.
Lefèvre, en effet, dès le lendemain matin à 8h 30 fanfaronne dans le café Le Globe, montrant les tracts à quelques consommateurs et … à un agent du commissariat en civil, Paul Martin qui attend son collègue Marcel Moreau (tous deux sont affectés à la brigade de surveillance de nuit). Les deux policiers lisent le tract mais Lefèvre refuse qu’ils le conservent et après avoir déclaré, s’adressant à Martin, « Non celui là est pour ton patron » il se dirige vers le commissariat.
Informé par Lefèvre le commissaire Betchen décide d’une perquisition immédiate. Accompagné des gardiens Moreau et Martin ainsi que du secrétaire du commissariat, Jean Le Men, il se transporte au 13 rue de Pantin et se rend chez Lefèvre qui ne se fait pas prier pour ouvrir la porte du local appartenant à l’aéroclub. La perquisition permet de réunir les éléments qui vont permettre l’arrestation des jeunes aviateurs.
S’agissant de Lefèvre les documents d’archives apportent les données complémentaires suivantes : il est arrêté le 28 août 1944 par Albert Comba accompagné de deux FFI et conduit au commissariat d’Aubervilliers avant d’être incarcéré à Fresnes. Il sera condamné à 7 ans de travaux forcés ainsi qu’à la dégradation civique et à la confiscation de ses biens.
2 - les circonstances de la découverte de la liste d’adresses détenue par Albert Comba
Dans la relation que nous avons donnée des arrestations nous n’avons pas fait mention des violences subies par les jeunes aviateurs, notamment Albert Comba. Or ces violences furent bien réelles ainsi qu’en atteste la déclaration de Jean Le Men (secrétaire du commissariat il participa à ce titre aux interrogatoires) lors d’une audition de la commission d’épuration le 28 septembre 1944 : « Fin août 1944, j’appris que Monsieur Combat (sic) se trouvait à Aubervilliers et qu’il se plaignait d’avoir été maltraité au cours de son interrogatoire par « le chien du Commissaire ». Je suis allé spontanément le voir pour me disculper à son égard et effectivement il n’a pas reconnu en moi la personne qui l’avait frappé. »
La violence est donc la raison principale de la rapidité des aveux.
Mais les archives permettent d’éclairer aussi dans quelles conditions la police mit la main sur la liste des 23 noms fournie par Léon Nordmann. Les documents antérieurement consultés mentionnaient simplement que la liste avait été découverte sur Albert Comba. Or ce ne fut pas le cas.
En fait, le commissaire Betchen a délibérément, ainsi qu’il le déclare dans un rapport rédigé le 3 janvier 1941 pour le Directeur général de la police municipale, effacé « une aventure » dans la procédure judiciaire ouverte.
Que s’est-il donc réellement passé ?
Le 30 décembre aux alentours de 15 heures, Albert Comba, usant d’arguments patriotiques, réussit à persuader un gardien, Abel Audibert, de se rendre à son domicile pour récupérer un portefeuille dans lequel se trouve une liste de noms donnée par Léon Nordmann et de détruire celle-ci. Fortier convainc aussi ce même gardien de téléphoner à Léon Nordmann pour l’informer de la chute de l’équipe d’Aubervilliers [2].
Abel Audibert tient ses engagements. Il téléphone de chez un commerçant au domicile de Maître Nordmann et se rend chez Comba où il récupère le portefeuille qu’il conserve, sans détruire la liste des adresses [3]. Mal lui en a pris. Le lendemain matin Albert Comba, persuadé qu’Audibert n’a pas conservé le portefeuille et que ce dernier se trouve à son domicile épuré des listes de noms, dit aux policiers qui l’interrogent que son portefeuille peut être récupéré chez lui. Le gardien dépêché fait chou-blanc. Comba, pressé de questions [4] et sans doute violenté finit par lâcher qu’Audibert est sans doute en possession du portefeuille. Convoqué au « bureau des inspecteurs » Audibert s’entend dire qu’il ne sera pas inquiété pour ce qu’il a fait [5] s’il restitue le portefeuille. Audibert se rend alors chez lui et rapporte le portefeuille… qui contient une liste comprenant 23 noms et adresses !
Telles sont les circonstances réelles ayant présidé à la récupération de ce document.
S’agissant d’Audibert, le commissaire Betchen déclare qu’il n’a pas procédé à son arrestation pour lui « épargner la honte d’une arrestation pour complicité » et dresse de l’intéressé un portrait peu flatteur. Après avoir rappelé un internement antérieur pour aliénation mentale et évoqué un penchant notoire pour la boisson, il déclare : « Il a agi par inconscience, son cerveau affaibli a accepté sans discussion les arguments sonores et creux du sieur Comba : devoir de français… défendre la France… patriotisme… lutte contre l’envahisseur…, sans en apprécier la vanité et surtout les conséquences dangereuses pour les populations sans défense. Il a commis une faute impardonnable je n’ai pas manqué de lui faire observer que si j’ignorais la punition à lui destinée, je savais parfaitement le sort réservé en guerre - car nous sommes en guerre - à un soldat qui pactiserait avec son adversaire et favoriserait ses desseins [6] ».
3 - l’atmosphère régnant au commissariat d’Aubervilliers
Les opinions existant au sein du commissariat a propos de l’arrestation des jeunes aviateurs paraissent contrastées. C’est ce que révèle l’affaire Audibert et, accessoirement, l’affaire Allemand, qui, gardien-téléphoniste, a protesté haut et fort contre l’arrestation des jeunes aviateurs [7]. Robert et Le Men qui ont participé aux interrogatoires paraissent pour leur part hésitants à poursuivre l’enquête jusqu’au bout. Betchen confirme leur hésitation mais déclare avoir décidé de ne pas stopper les choses dès lors que l’affaire était publique depuis l’épisode survenu dans le café Le Globe.
Le 28 septembre 1944, confronté à Le Men, Betchen déclare avoir hésité à poursuivre dès lors que la lecture du tract montrait « qu’il s’agissait d’une affaire non-communiste » mais qu’ayant la conviction que l’affaire « avait une certaine publicité » il était d’autant moins possible de l’étouffer que « étant à Aubervilliers et la municipalité s’inquiétant de cette propagande il m’a semblé qu’arrêter l’affaire de moi-même ne servait à rien au contraire, car trop de personnes paraissaient intéressées à ce qu’elle fut continuée. J’ai donc prié Monsieur Le Men de continuer l’affaire quitte à voir par la suite dans quelle limite on pouvait la maintenir ».
Le système de défense de Betchen dans cette affaire, se profile : il se défend d’avoir poussé à la répression et dit n’avoir agi qu’en raison des circonstances rencontrées.
Plus généralement, s’agissant de la violence pratiquée par le commissaire et les hommes de la brigade politique, elle fera l’objet de critiques tardives (Le Men à la Libération, une pétition de 14 gardiens affectés au commissariat d’Aubervilliers en 1939-1940 attestant de l’attitude de Betchen et la condamnant) et bien évidemment d’accusations de ceux qui ont subi les sévices. Betchen justifiera ses actes par son anticommunisme. Nous y reviendrons.
4 - les condamnations prononcées
Après leur arrestation, Comba, Fortier, Robbi et Dupleix sont transférés au Dépôt puis incarcérés à la prison de la Santé. Remis aux autorités allemandes, ces dernières les incarcèrent à Fresnes puis au Cherche-Midi. Comba est ensuite emprisonné au fort de Villeneuve-Saint-Georges.
C’est une cour martiale allemande qui, le 4 mars 1941 (le père de Fortier dit le 24 février 1941) prononce les peines :
Comba : huit mois de prison ;
Dupleix, Fortier et Robbi : six mois de prison.
Ces peines purgées, Albert Comba se cache avant de rejoindre un maquis, Dupleix parvient à passer en Angleterre et devient pilote de la RAF, Fortier meurt d’une tuberculose sans doute contractée durant son internement le 17 mars 1943, Robbi est tué le 26 août à Paris lors des combats de la Libération
5 – Georges Betchen
Les documents d’archives font ressortir des éléments biographiques concernant Georges Betchen que nous ignorions jusqu’ici. Il conviendra de les éclairer à partir de recherches complémentaires (dossier de la cour de Justice, notamment).
Ceci dit nous pouvons déjà apporter les précisions suivantes : Betchen a été nommé commissaire à Aubervilliers le 18 novembre 1937. Après une période de mobilisation aux armées il y est revenu pour exercer à nouveau et jusqu’au 9 octobre 1941, la fonction de commissaire. A cette date il a été arrêté et incarcéré à Fresnes puis en Allemagne sans que l’on connaisse les motifs de son arrestation. Libéré le 15 août 1942, après un long congé pour maladie, il est affecté le 13 janvier 1943 au service de la circulation à Paris. Il semble avoir rendu, à partir de ce moment, quelques services à la Résistance dont il se prévaudra pour sa défense à la Libération. Henri Manigart se portera en soutien à Betchen lors de sa traduction en justice.
Nous espérons que de nouvelles pièces d’archives permettront de mieux éclairer ce que furent les attitudes de Betchen au cours de la période 1939-1944. En tout état de cause son action à Aubervilliers a été marquée d’un anticommunisme maladif, d’un usage systématique de la violence et de l’humiliation, d’une propension à collaborer avec les allemands qui était aussi le fait des membres de la brigade politique.
Notes
[1] Les dénonciations sont très nombreuses dans la période. Le brigadier Bianchery déclare au cours d’une audition de la commission d’épuration que le commissariat a reçu 1 500 lettres de dénonciation au cours des années 1940-1941.
[2] Roger Nordmann, confirme le coup de téléphone (Rapport en date du 11 avril 1945 rendant compte de l’audition de Roger Nordmann dans le cadre de l’action engagée contre Betchen devant la cour de justice).
[3] Ou du moins en n’en détruisant qu’une ayant selon la déposition d’Albert Comba en septembre 1944 comporté dix noms donc ceux des avocats Le Trocquert et Naud.
[4] Les interrogatoires sont menés par les agents Robert, Puyfourcat et Despres. Les violences paraissent avoir été essentiellement exercées par Puyfourcat. Auditionné par la commission dépuration le 27 janvier 1945 Albert Comba déclare avoir reçu deux gifles.
[5] Le 25 janvier 1945, lors de son audition par la commission d’épuration Abel Audibert déclare que l’inspecteur Robert lui a indiqué en lui intimant l’ordre d’aller chercher le portefeuille de Comba « tu ne figureras pas dans notre rapport ; nous mentionnerons que la liste des gaullistes a été trouvée sur Comba ».
[6] Audibert est informé par Betchen de sa suspension de fonctions sans limites début mars 1941.
[7] Betchen obtient une suspension de fonctions de six mois.
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