
Article de Lucien Marest paru dans l’Humanité
La beigne
mercredi 8 juillet 2009
Alors que nous aurions dû fêter cette année le 50ème anniversaire de la création du ministère de la culture, rien n’en a été dit. Lucien Marest ancien maire-adjoint délégué à la culture d’Aubervilliers revient sur ce qui aurait dû être un évènement et pose la question : "Les rêveurs de la culture pour tous ont-ils échoué" ?
Curieuse manière de célébrer le 50e anniversaire de la création du ministère des Affaires culturelles par le général de Gaulle que de n’en rien dire ou presque ! Dommage, ça nous aurait fait rire un peu de découvrir que cette idée d’un ministère de plein exercice, séparé du ministère de lpublique et de l’Académie des beaux-arts, était en réalité une suggestion de Pompidou, alors directeur de cabinet du Général, lequel devait brillamment résumer la chose en recevant Michel Debré, son premier ministre : « Vous devriez faire de Malraux un ministre des Affaires culturelles, cela donnerait du relief à votre gouvernement. »
Va pour le relief, car en ce qui concerne les moyens, il faudra attendre l’irruption de la gauche, en 1981, pour constater un authentique effort budgétaire de l’État. En réalité, les premiers fondateurs de l’action publique pour la création artistique, sans remonter à la Révolution française, ne sont ni Malraux ni Lang, mais les artistes eux-mêmes, singulièrement ceux du théâtre, associés à des municipalités souvent à direction communiste, notamment en région parisienne. Un mouvement artistique ancré autour de la décentralisation théâtrale, de l’implantation de bibliothèques, puis de conservatoires de musique.
Mais aussi un mouvement social dont l’essor doit beaucoup à la prise en gestion directe des oeuvres sociales des comités d’entreprise par les élus des syndicats, notamment après 1968. Enfin, troisième mouvement, indissociable des deux précédents, la montée en puissance et en espérance du mouvement politique de rassemblement à gauche autour d’un programme de gouvernement pour enfin sortir la droite au pouvoir, presque sans interruption, depuis la Libération. Aujourd’hui, de toutes parts, on nous dit le malaise né d’un divorce croissant entre les artistes et le ministère de la Culture, mais, plus grave encore, on souligne, pour s’en plaindre, une indifférence ignorante de la gauche à l’égard de la création, de la culture, des artistes.
C’est peu de dire que tout le mouvement artistique se trouve menacé si cette situation devait pourrir en perdurant. La droite d’inspiration autoritaire qui gouverne l’a compris : c’est un premier danger. « De fait, écrit le porte-plume du président de la République à sa ministre de la Culture, notre politique culturelle est l’une des moins redistributives de notre pays. Financée par l’argent de tous, elle ne bénéficie qu’à un tout petit nombre. » Évidemment, le 1er août 2007, Sarkozy ne pouvait pas savoir qu’un tel argument se retournerait comme une beigne lorsqu’il dispenserait à fonds perdus des milliards d’argent public pour renflouer les banques, toutes plongées dans les « eaux sales et glacées » du « calcul égoïste ».
Mais enfin, l’attaque est ciblée. Les rêveurs de « la culture pour tous » ont échoué, il est temps de les sanctionner et d’amorcer un processus de régression de leurs financements. Telle est bien l’orientation annoncée de la politique culturelle en 2009. Dans ces conditions, ceux qui veulent à juste titre redonner de l’ambition au ministère de la Culture ne devraient pas apporter leur pierre à ceux qui veulent le détruire.
Le deuxième danger, c’est l’état du mouvement social. Ce n’est pas ici qu’on sous-estimera ce qu’il montre de combativité depuis le début de l’année. Mais impossible non plus de ne pas voir ses limites professionnelles et politiques.
Le troisième danger pour le mouvement artistique, c’est vraiment la nature de l’espoir social et politique en cette fin d’année scolaire. Juste après le verdict abstentionniste ultramajoritaire des élections européennes, il reste un peu plus qu’un frémissement grâce à la mobilisation réussie du Front de gauche. Les formations qui le composent ont reçu le soutien d’intellectuels, d’écrivains, d’artistes, de scientifiques qu’on a pu remarquer. Il faut que cela réveille en nous ce vieux fond révolutionnaire qui, dans notre pays, associe les intellectuels, les artistes et le mouvement populaire. Sans cette alliance, qui ne ressemblera pas à ce qu’elle était dans les années 1980, le monde de la culture n’est plus suspendu qu’à un fil.
Sans ce retour moderne vers tous les lieux de pensée, syndicaux, associatifs, politiques, artistiques, il n’y a pas plus d’avenir pour la culture en général, qu’il n’y en a pour changer la société.
(Paru dans l’Humanité du 20 juin 2009)
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