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Qu’en est-il de la faucille et du marteau ?
mercredi 25 février 2009, par
La faucille et le marteau (« les outils du communisme » ainsi qu’aimait à dire Bertolt Brecht) alimentent depuis des années des polémiques. Bien sûr l’extrême droite et la droite rejettent le symbole par simple haine du communisme, la social-démocratie ne dit aujourd’hui pas grand-chose mais s’est, dans le passé, située dans un voisinage idéologique proche de la droite.
Plus curieux (et, sur le fond, plus intéressant) est le débat qui se déroule entre les communistes parce que se joue dans la relation au symbole la relation à leur identité et à leur histoire.
Bien sûr ce genre de débat éprouve des difficultés à se tenir loin des passions. Autour du drapeau rouge et des symboles qui l’accompagnent se sont installées des identités, des références que l’histoire glorieuse et tragique du « communisme » a travaillées pour le meilleur et pour le pire. On trouve trace de cette ambivalence dans le fait que le Parti communiste, a depuis plusieurs années abandonné l’apposition de la faucille et du marteau sur les matériaux nationaux qu’il édite (mais des supports locaux le conservent) mais l’a gardé comme logo interne (carte du parti et timbres).
Sans doute conviendrait-il d’étudier, en articulation avec la faucille et le marteau (mais aussi l’étoile rouge à cinq branches, symbole d’internationalisme) le drapeau rouge lui-même dont l’histoire a été décortiquée il y a déjà longtemps par Maurice Dommanget [1].
La vieille symbolique des outils
Mais avant d’entrer dans ce que fut le moment même de la création de l’emblème, il convient de prendre en compte le fait que la tradition de la présence d’outils sur bannières, drapeaux et supports divers était très ancienne. La représentation d’objets de travail (pioches, truelles, compas, niveaux, fils à plomb…) sur des affiches, dessins, gravures, bannières… est observable notamment durant et après la Révolution française. La franc-maçonnerie a joué un grand rôle dans cette prolifération.
La faucille et le marteau figurent, à cette époque, assez souvent parmi les outils mobilisés mais sont rarement associés.
Quelques affiches d’avant 1914 présentent parfois un homme brandissant masse ou marteau mais la femme, dès lors qu’on la figure, brandit plus simplement une bannière ou une branche.
Dans les représentations qui sont alors faites du travail et de son monde, faucille et faux cohabitent souvent et se trouvent posées sur le sol, aux pieds des sujets mis en scène.
En tout état de cause, le marteau (ou la masse) caractérisent l’homme, l’ouvrier fort et vigoureux. L’outil est assimilé au travail industriel (ou artisanal), mais représente plus généralement le monde du travail industriel, la classe ouvrière.
Quant à la faucille c’est non seulement un symbole du travail agricole, l’outil de la femme à la campagne, mais c’est aussi la femme, ainsi que le suggère, disent certains, sa forme arrondie. Une affiche réalisée pour le 1er mai 1920 en Russie conforte cette interprétation. On y voit s’avançant vers l’avenir, côte à côte, un ouvrier portant une lourde masse, un paysan pourvu d’une faux et une paysanne une faucille à la main.
Le monument du pavillon soviétique à l’Exposition universelle de Paris en 1937 conforte aussi cette représentation. La sculpture, monumentale, représente un ouvrier et une kolkhozienne tendant vers le ciel, entrecroisés, le premier un marteau, la seconde une faucille. La révolution soviétique s’incarne dans la réconciliation du travail industriel et du travail agricole sur fond de paix, comme elle unit étroitement l’homme et la femme dans un destin historique.
Un symbole fils de la Révolution d’Octobre
Ceci dit la faucille et le marteau sont incontestablement un héritage de la Révolution d’Octobre. Quelle en est la genèse ?
C’est au cours de l’année 1918 que le Conseil des commissaires du peuple se préoccupe de faire établir un emblème pour le sceau du gouvernement et du pays afin de mettre un terme au désordre qui jusqu’alors s’était incarné dans des représentations spontanées [2].
Le conseil des commissaires du peuple en discute à partir du 20 avril à partir d’un projet confié au peintre Alexandre Léo qui, dans une première mouture, avait proposé une faucille, un marteau et un glaive entrecroisés devant un bouclier d’acier, le tout entouré d’une couronne d’épis. Au cours des débats, Lénine se prononce pour la suppression du glaive qui contredit l’essence pacifique même de l’Etat nouveau.
En juillet 1918 le Conseil des commissaires du peuple choisit comme armoiries du régime la faucille et le marteau sur fond de soleil levant..
La faucille et le marteau sont conservés dans les armes de la République socialiste fédérative soviétique de Russie constituée en juillet 1918, puis dans celles de l’URSS en 1922.
L’appropriation française de la symbolique soviétique
En France, la reprise de la symbolique soviétique est rapide. Le terreau culturel français en matière de symboles se révèle, en effet, ainsi qu’on l’a vu, propice. En 1921, les timbres de cotisation du jeune Parti communiste portent en emblème la République rouge, mais dès 1922 la faucille et le marteau font leur apparition. A partir du 4 octobre 1924, L’Humanité, organe du Parti, installe un emblème, très proche alors de celui de la RSFSR, à la droite du titre. Après quelques jours d’hésitation on lui trouve une place définitive entre le L et le H (24 octobre 1924), puis derrière le M (16 mars 1926). En même temps on le simplifie, on l’épure, pour finalement ne mettre en valeur que les deux instruments de travail.
À la fin des années 1970, la faucille et le marteau prennent place sous le titre du journal avant de disparaître du titre, en même temps que le lien avec le Parti communiste français en 1999.
Symboliser la perspective communiste
Parti populaire, ouvrier et paysan [3], le parti communiste a d’évidence trouvé dans la faucille et le marteau un emblème en correspondance avec son identité et son histoire alors qu’il était originairement porteur de contenus plus riches et variés.
D’aucuns posent la question de savoir si ce symbole peut aujourd’hui correctement représenter ce qu’est devenu la PCF et, plus généralement, la cause qu’il incarne dans une société profondément transformée.
On peut disserter à l’infini sur ces aspects mais je crois nécessaire de dire que l’imagerie symbolique n’a pas une fonction de représentation directe. Ainsi la République s’est identifiée à une femme (Marianne) alors que le droit de vote n’a été reconnu aux femmes qu’après la Seconde Guerre mondiale et que, jusqu’à aujourd’hui, aucune femme n’a accédé à la fonction de Président de la République.
Ceci dit, il n’en demeure pas moins qu’un emblème a une certaine importance dans la mesure où sa perception consciente ou inconsciente doit aider les individus à se mobiliser en faveur de la réalité qu’il évoque.
Cette question fait-elle problème après l’échec de l’expérience soviétique et après qu’ont été révélés les crimes commis au nom du « communisme » ?
On peut, de ce point de vue, céder à la pression des lectures aujourd’hui dominantes de l’histoire ou bien considérer que le symbole, bien naturalisé en France par l’action du Parti qui en est porteur, dispose d’une signification indépendante.
Demeure, en objection au symbole, l’argument selon lequel faucille et marteau privilégient le travail manuel alors que le travail intellectuel a acquis une place de plus en plus grande dans tous les secteurs de l’activité économique. On peut certes débattre à ce propos et, pourquoi pas, réfléchir à un renouvèlement symbolique. En tout cas il me semble que si un débat s’ouvrait à propos d’un nouvel emblème du parti, il devrait s’établir à partir des significations primitives et émancipatrices de la faucille et du marteau. C’est-à-dire la recherche de la paix humaine, l’union dans l’égalité de la femme et de l’homme, la coopération des différentes formes du travail pour une société meilleure… bref : le communisme.
André Narritsens
Notes
[1] Histoire du drapeau rouge, rééditée en 2006 aux éditions Le mot et le reste.
[2] Ainsi l’Armée rouge le 29 juin 1918 avait adopté comme emblème l’étoile à cinq branches comportant en son centre une charrue et un marteau de couleur jaune.
[3] L’Internationale ne dit-elle pas : « Ouvriers, paysans, nous sommes le grand parti des travailleurs… ».
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