Derrière le voile, une inquiétante dérive

une tribune de Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité et conseiller municipal d’Aubervilliers

mercredi 23 octobre 2019

Si les mots ne tuent pas, ils peuvent blesser et meurtrir. Ils contribuent surtout à mettre sur orbite des idées qui saturent le débat public et brouillent les repères républicains. Il n’aura pas fallu attendre longtemps après la convention de la droite réunie sous les auspices de la mouvance identitaire et la logorrhée raciste de Zemmour diffusée à grande échelle pour que se déchaîne la haine contre la population de confession musulmane.

Pas un jour ne passe désormais sans que les musulmans de France ne soient pointés du doigt, insultés, méprisés. Il aura suffi qu’un conseiller régional d’extrême-droite en mal de notoriété s’autorise, en dehors de tout cadre légal, à exiger le dévoilement d’une maman accompagnatrice scolaire devant son enfant pour qu’une cohorte de ministres et parlementaires, d’éditorialistes et plumitifs se liguent en sonnant l’hallali contre le « péril musulman ».

La mécanique est huilée qui laisse désormais à l’extrême droite le pouvoir d’orienter le débat public et politique. Et une fois encore, les chaines dites « d’information continue » comblent le vide par la vacuité, remplissant le temps d’antenne par le bavardage réactionnaire de quelques pontes médiatiques plus préoccupés par le voile, véritable fétiche, et les femmes qui le portent, que par les fins de mois impossibles de millions de nos concitoyens.

Le travail parlementaire se trouve ensuite phagocyté par ces basses polémiques de haute intensité puisque, à la suite du coup d’esbroufe de l’élu d’extrême droite, une proposition de loi a été opportunément déposée par le groupe « Les Républicains » du Sénat pour interdire aux mamans voilées d’accompagner leurs enfants en sortie scolaire.

La loi est pourtant claire. Le droit a été dit en 2004 et le Conseil d’Etat l’a confirmé en 2013 : les accompagnatrices scolaires, n’étant pas des agents publics, ont toute latitude de se vêtir comme elles le souhaitent. Le guide de la laïcité de l’Education nationale le confirme. Tels sont la lettre et l’esprit de la loi de 1905, loi de concorde et de paix civile garantissant la liberté de conscience et l’autonomie de la société. En affirmant que « le voile n’est pas souhaitable », et ajoutant que « ce n’est pas quelque chose d’interdit, mais ce n’est pas non plus quelque chose à encourager », M. Blanquer fait non seulement preuve d’une grande légèreté, mais il se place en travers de la République. Il est censé garantir et appliquer la loi républicaine, or il tente d’imposer une norme sociale et vestimentaire sur la base d’une simple opinion qui contrevient aux principes législatifs.

Jaurès, artisan décisif de la loi de séparation, s’interrogeait : Qu’est-ce donc que la République ? C’est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace.

Or, notre régime se caractérise aujourd’hui par de grands actes de défiance et de peurs.

Défiance, quand les us et coutumes de la population musulmane sont considérés comme autant d’indices de « radicalisation ».

Peur, quand la République n’ose plus affirmer la puissance de son creuset, préférant s’enfoncer dans la recherche de boucs émissaires, cultivant différences et divisions.

Défiance, encore, quand M. Macron, mélangeant allègrement immigration, religion, terrorisme et communautarisme – confusion dont l’extrême-droite fait son miel – promeut une « société de vigilance » qui déléguerait aux citoyens le rôle de surveillance dévolu aux services de l’Etat, incitant les classes populaires du pays à s’épier entre elles. Prenant d’ailleurs M. Macron au mot, l’élu extrême droite s’est réclamé de la « vigilance citoyenne » pour justifier son propos raciste et antirépublicain.

Nul ne saurait nier l’offensive mondiale subventionnée à coups de pétrodollars de forces répondant d’un islamisme politique rétrograde, réactionnaire et anti-démocratique. Les mêmes d’ailleurs qui sont cajolées par les puissances occidentales et le grand capital alors qu’elles ont partie liée avec le terrorisme. Nul ne saurait non plus nier la résurgence des nationalismes et identitarismes sur le dos des grandes espérances émancipatrices universalistes.

Mais combien de réalités se cachent derrière le port du voile ? Culture, conviction, mal-être, affirmation de soi : les motivations sont variées, souvent anodines, et les ressorts complexes. Il parait bien hasardeux de demander à la République de s’immiscer dans l’intimité des consciences. Quel précédent cela créerait-il dans un pays qui se flatte encore d’être celui des droits de l’homme et du citoyen ? La République et les actes législatifs portés en son nom garantissent la liberté de conscience. C’est l’esprit de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat qui garantit les indépendances respectives des cultes et de l’Etat dans ses différentes missions.

Chacun sait que la majorité des femmes voilées, qu’elles soient issues de l’immigration récente ou nées en France, vivent dans les quartiers populaires, ces sas de la mondialisation capitaliste où s’accumulent les violences sociales, physiques et symboliques. L’école est justement le lieu de la rencontre féconde au petit matin quand les parents accompagnent les enfants, dans l’association de parents d’élèves ou au Conseil d’école. Chacune de ces occasions permet de se comprendre mieux et de ne pas laisser certaines mamans isolées ou s’isoler elles-mêmes pour être considérées pleinement citoyennes aux droits égaux.

Les entreprises de division, qu’elles viennent des classes possédantes pétries d’un universalisme aussi abstrait que leur confort social est concret, de l’extrême droite raciste et démagogue ou des obsédés de l’identité nationale, ethnique et religieuse, ont pour fonction de masquer ce qui unit les milieux populaires : l’oppression féroce exercée par le capital sur leurs conditions d’existence. Voilà le piège tendu ! Redonner confiance à la République, c’est créer les conditions d’une union populaire capable de déjouer les divisions instillées de toutes parts et dont le voile est aujourd’hui l’instrument.

le 22 octobre 2019

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