La « culture de la paix » : une priorité politique.

La bombe, 74 ans après Hiroshima-Nagasaki

mardi 6 août 2019

Le 6 août 1945, une ère nouvelle commence. par Michel Cibot, Délégué général de l’AFCDRP (l’Association française des communes, départements et régions pour la paix), partenaire de la ville d’Hiroshima.

article publié dans l’Humanité du 6 août 2019

Le 6 août 1945, une ère nouvelle commence. Désormais, l’homme peut rendre la Terre impropre à la vie humaine. Nous sommes encore pris dans cette nasse. Heureusement, d’admirables progrès des sciences et techniques, de la médecine, de l’éducation, de la culture permettent d’espérer en sortir ! Cette tribune dédiée aux victimes d’Hiroshima et de Nagasaki (hibakushas) rappelle quelques questions et données pour inviter non seulement à s’indigner, mais aussi à espérer et à résister aux menaces d’aujourd’hui !

Les progrès sont contrariés par l’agencement économique du monde et le recul des valeurs, qui conduit à des dérives préoccupantes. Imaginer les organisations (leur fonctionnement) adaptées aux capacités productives de cette ère nouvelle devient urgent… Le 6 août 1945, la mise à feu de l’arme atomique dans le ciel d’Hiroshima donnait l’alerte.

Le réseau des maires pour la paix, animé par le maire d’Hiroshima, encourage les travaux menant à ces formes nouvelles d’organisation. Ce réseau rassemble plus de 7 000 institutions territoriales de 164 pays. En France, où il reste beaucoup à faire, l’Association française des communes, départements et régions pour la paix (AFCDRP), présidée par Philippe Rio, maire de Grigny, s’y emploie.

Nouveau symbole de puissance, nouvelle mesure de la « fabrique de cadavres » décrite par le philosophe Günther Anders dans l’Obsolescence de l’Homme, après deux guerres mondiales, la Shoah… vient donc la bombe atomique au sommet de l’échelle des violences.

Soixante-quatorze années ont passé. Transportons-nous à Hiroshima, sous la bombe : 140 000 cadavres en quelques secondes, des centaines de milliers de blessés, l’effondrement généralisé de toutes les infrastructures, une infâme puanteur, une terre empoisonnée par la radioactivité invisible…

Qui pourrait oublier ? Le rapport au temps et à l’espace s’en est trouvé bouleversé : une seule bombe, un éclair, un traumatisme de masse qui traversera toutes les frontières jusqu’à nous.

Silence ou « blanc de mémoire » ?

Cette nouvelle arme est connue du public, mais mal connue, car ses partisans ont réussi à la faire passer pour une arme défensive destinée à n’être jamais utilisée… Sauf Hiroshima et Nagasaki, crimes « éclair » que l’on voudrait faire oublier sans y parvenir ! Pas de grands débats. Silence général organisé ! Paul Quilès, ancien ministre de la Défense, le général Norlain et Jean-Marie Collin déplorent cette situation dans Arrêtez la bombe ! (le Cherche midi éditeur).

Malgré cette croyance, proche de la superstition, en la nature protectrice d’une bombe qui a tout de même introduit une rupture radicale dans la nature même des armes, croyance qui nourrit le silence, de nombreux citoyens s’interrogent. D’abord Albert Camus avec « l’Enfer et la Raison »(Combat du 8 août 1945), puis Wilfred Burchett et ensuite bien d’autres, dont l’appel de Stockholm et les déclarations de la Croix-Rouge internationale.

L’intérêt croissant des humains pour l’environnement, le climat, l’alimentation saine, la santé, le bien-être fissure le mur du silence et du « blanc de mémoire » (oubli !). Cet intérêt est renforcé par les événements récents tel celui de Fukushima. La notion de « menace nucléaire globale » est reconnue. Les hibakushas et les maires des deux villes japonaises en sont les premiers et fidèles messagers.

Une question clé : la menace

Dans ce contexte, qu’il conviendrait de décrire plus longuement, à la lumière de cette menace nucléaire globale, Ghyslain Lévy, psychanalyste, analyse ce déni silencieux (l’Ivresse du pire et Au-delà du malaise) et rappelle une question clé relative au fait de « survivre à l’indifférence » : « Comment notre vie (…) s’organise-t-elle au regard d’une réalité du monde placée sous une telle menace ? » Les réponses sont complexes. Elles requièrent des recherches, des études approfondies. Celles qui existent sont trop peu considérées, ou trop secrètes car trop inquiétantes. Il faudrait donc en faire une priorité politique, une priorité pour l’humain, y consacrer des moyens à la mesure des enjeux, à rapporter aux budgets de guerre actuels… environ 2 000 milliards de dollars chaque année dans le monde !

La question clé appelle une remarque et d’autres questions. Remarque : sans qu’il soit fait usage de l’arme, elle produirait donc des effets… Tuerait-elle le présent et l’avenir et façonnerait-elle les êtres humains par sa seule existence menaçante ? Qui a dit que la vie est un reflet des forces productives ? Quid, alors, de l’influence de ces armes atomiques produites par nos industries sur nos vies présentes ?

Une autre question vient à l’esprit : la bombe atomique, conçue comme violence ultime, ne contribue-t-elle pas, par sa seule menace, à faire naître toutes sortes de violences, jusqu’aux pires monstres tueurs ? Matrice de toutes les violences, ne faudrait-il pas la considérer comme telle ? Ne contribue-t-elle pas aux découragements, aux décrochages, à l’essor des idéologies simplistes, à la recherche des paradis artificiels ?…

Le temps est sans doute venu de se donner les moyens d’explorer toutes ces questions. Deux traités invitent déjà les États à éliminer les armes nucléaires : le traité sur la non-prolifération (TNP), le traité pour l’interdiction des armes nucléaires (Tian), qui a valu le prix Nobel à un réseau d’ONG dont plusieurs françaises… et qui est passé sous silence ! Rappelons aussi que les objectifs du développement durable (ODD) adoptés par les États nous offrent des arguments précieux. Par exemple, l’ODD 16 appelle les États à « promouvoir des sociétés pacifiques, inclusives, aux fins du développement durable… ». À quand un ministère de la Paix ?

Écologie et guerre…

Cela nous amène à conclure provisoirement en posant encore une question : l’écologie est une préoccupation, mais pourquoi les risques de pollution liés aux guerres et aux armes nucléaires sont-ils si souvent passés sous silence ? L’ouvrage Guerre et paix… et écologie, de Ben Cramer (Éditions Yves Michel), apporte des réponses… Et en 2000, l’ONU a proposé un outil pour agir, la « culture de la paix », adopté par tous les États… Citoyens, mettons-nous à l’ouvrage !

Répondre à cet article