Hommage à Jack Ralite : L’allocution de Charles Fiterman au Père-Lachaise

mercredi 29 novembre 2017

Je ne peux penser à Jack autrement que vivant et agissant. Je veux donc évoquer
trois rencontres heureuses parmi les centaines que nous avons pu avoir.

La première date d’il y a 52 ans. Nous étions alors l’un et l’autre proches de
Waldeck Rochet, secrétaire général du Parti communiste, lui en tant que maire-adjoint
d’Aubervilliers dont Waldeck était le député, moi comme secrétaire personnel de celui-ci.
Je me rendais assez souvent à Aubervilliers pour tenir les permanences du député
quand celui-ci était occupé ailleurs. J’ai ainsi rencontré Jack qui organisait sur place les activités du député. Et puis, une chose m’est resté particulièrement en mémoire.
Waldeck invitait régulièrement Jack à venir au siège du parti, situé alors Carrefour
Chateaudun, pour parler avec lui de la situation concrète des gens, de ce qui se disait et se faisait. J’ai pu assister à quelques-uns de ces entretiens. J’ai été frappé par
l’attention, je dirais presque affectueuse, que portait Jack à la population de sa ville, par sa passion de la justice sociale, par sa capacité d’observation fine du mouvement des réalités. Je pense que son intérêt pour tout ce qui touche à l’art, à la culture participait de cette volonté d’investir l’humain, de comprendre ses joies, ses souffrances, ses rêves, d’apporter chaleur et lumière dans la vie de tous les jours.
Jack fut pour Waldeck une sorte de sismographe social et un pourvoyeur d’idées,
d’initiatives à prendre.

La seconde rencontre renvoie à une image connue. Elle a eu lieu le 24 juin 1981
sur les marches de l’Elysée, alors qu’avec les deux autres ministres communistes Anicet Le Pors et Marcel Rigout, nous nous rendions ensemble, comme nous l’avions décidé, à notre premier Conseil des ministres.
Jack était heureux de représenter toutes ces femmes, tous ces hommes que l’on qualifie de modestes, qui sont souvent à la peine et qui, pour une fois, avaient le sentiment d’être reconnus à leur juste valeur en étant en quelque sorte assis à la table du Gouvernement de la France. Jack me dit ensuite sa conviction que nous étions dans le droit fil de notre engagement politique en voulant contribuer à améliorer la vie de ces hommes et ces femmes et à servir le pays. Sinon, à quoi servirait cet engagement ?

La suite vérifia la capacité de Jack à traduire cette volonté en actes dans ce Ministère de la Santé qui fut d’abord le sien.
En témoignent les progrès accomplis au cours de ces années en matière de dotations des hôpitaux en équipements modernes, en passant par exemple de 50 scanographes installés en 1981 à 250 trois ans plus tard. Mais c’est sans doute son attention, non seulement aux conditions de travail des personnels mais plus encore à leur statut dans le service public, à leurs possibilités de prise de parole et de propositions, qui a été la plus intéressante des approches. Le fait que Jack Ralite ait commencé son activité ministérielle par un tour de France de la Santé, pour prendre connaissance des problèmes, des expériences, des expérimentations, le montre clairement. Il faudrait citer bien d’autres réalisations, par exemple en matière de médecine psychiatrique ou de médecine scolaire.
Bien sûr, certaines orientations de Jack comme la suppression progressive du
secteur privé à l’hôpital public suscitèrent des oppositions inévitables. Mais il sut y faire face avec sa capacité d’écoute, son respect des autres, son travail acharné pour
maîtriser ses dossiers et dégager des issues, sans rien abandonner de ses convictions profondes. Il me montrait avec une satisfaction non dissimulée les lettres de remerciements ou d’encouragements qu’il reçut. Au-delà de ces témoignages, son action lui a valu l’estime et le respect du plus grand nombre.

Enfin, il y a une troisième rencontre que je veux évoquer. Jack m’avait invité à la
Comédie française pour assister à la représentation du ″Galilée″ de Bertold Brecht
mis en scène par Antoine Vitez. Nous en avons parlé ensuite longuement.
J’ai retenu de ses propos son besoin de voir loin, son intérêt passionné pour tout
ce qui permet d’élargir les connaissances de l’humanité sur tout ce qui l’entoure. Cette démarche étant, pour Jack, inséparable de l’effort d’amélioration des relations entre les humains eux-mêmes en vue de la maîtrise toujours meilleure de leur propre destin.

Progrès social, démocratie dans son sens le plus profond, étude attentive des réalités,
non pour s’y enfermer mais pour y apporter les réponses novatrices qu’appelle ce
mouvement des sociétés et du monde, tout cela était à ses yeux étroitement lié.

Jack avait confiance dans ce mouvement, inspiré par cette ″Quête de l’inaccessible étoile″ chantée par Jacques Brel qu’il aimait beaucoup.
Cet effort peut heurter le confort des situations acquises ou encore les certitudes du dogme. Galilée en avait subi les contrecoups ; Mais, au terme de son procès, n’a-t-il pas dit, selon le propos qu’on lui prête : ″eppure, si muove″. Et pourtant elle tourne !

Cette Terre qui est la nôtre.

Ces sentiments ont guidé la vie de Jack. Ils lui ont dicté des prises de position parfois difficiles, toujours courageuses et vraies. Par exemple, il a été parmi les initiateurs de l’appel à la création du mouvement ″Refondations″ en 1991 ; il a participé quelques années plus tard aux ″Assises de la transformation sociale″ avec des personnes venues de toutes les formations de la gauche ; il a signé plus récemment un texte appelant à construire ″une gauche fédérée capable d’assurer l’entente durable des diverses sensibilités héritées de l’histoire qui la composent autour d’un projet novateur et ambitieux conjuguant liberté, justice sociale et solidarité″.

Jack Ralite fut à la fois un expert du quotidien - expression qu’il aimait utiliser -, un émetteur de chaleur humaine, un semeur d’espérance.

Il nous quitte, mais il continuera à nous inspirer.

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