un article de Patrick Le Hyaric

Une belle soirée pour la paix au Moyen-orient et un avenir humain pour la France

lundi 19 octobre 2015

Soirées d’Aubervilliers

Il est des soirées passées loin des écrans de plus en plus abêtissants, qui vous élèvent au dessus de vous-mêmes, qui vous emplissent d’idées et d’espoir. Ce fut le cas ce samedi dernier 17 octobre à Aubervilliers dans un lieu concentré de culture et de création, dans le beau bâtiment-paquebot baptisé l’Embarcadère, face au théâtre de la Commune et jouxtant le Conservatoire à rayonnement régional de musique, à l’invitation du maire Pascal Beaudet et de celui qui porte haut en son cœur la culture et les arts mais aussi la générosité, le souci de l’autre : Jack Ralite.

Ils avaient invité à cette soirée d’un samedi, à l’heure des congés scolaires de la Toussaint, deux personnalités prestigieuses : Leila Shahid, ancienne ambassadrice de la Palestine auprès de L’Union Européenne, et Edwy Plenel, directeur de Médiapart. « Des combattants de la pensée, du droit à l’existence et de la liberté » comme les qualifia l’ancien ministre et maire de la ville.

N’y résistant pas et tout juste sorti de sa journée de rédacteur en chef spécial de l’Humanité, Edgar Morin nous fit la belle et improbable surprise de les rejoindre.

Le public était largement au rendez-vous avec plus de trois cents participants attentifs aux magnifiques exposés des orateurs. Après avoir écouté une prestation musicale de quatre jeunes filles franco-palestiniennes, Jack Ralite appela à la mêlée de la conversation après avoir, en quelques minutes, fait le tour de notre monde, passant des guerres au Moyen-Orient jusqu’à la souffrance au travail. « La grande question du mode de cohésion de nos sociétés dans leur diversité est à l’ordre du jour » lança-t-il avant d’appeler à l’imagination d’un monde nouveau pour empêcher le chaos, non sans avoir montré des fenêtres de possible, faisant sien cet appel de Julien Gracq pour des « coups d’archets sur l’imagination ». Il cita notamment les victoires des salariés qui créent leur coopérative ou encore l’action du nouveau pape pour la justice. C’est d’ailleurs cet « en-commun » à construire qui devint le fil rouge de la soirée.

C’est ce que fit, avec toujours la même dextérité et intelligence, Leïla Shahid qui ne put faire autrement que d’évoquer avec précision la situation de son pays toujours non reconnu. Utilisant une description sans concession elle demanda pourquoi on pouvait hisser le drapeau Palestinien sur les mâts à L’ONU sans « que le peuple palestinien ne puisse avoir de souveraineté au sol ». Elle fit chorus avec Edwy Plenel sur le sentiment de peur répandu un peu partout pour stériliser les luttes populaires d’émancipation. La force de la parole de notre diplomate-intellectuelle résida dans sa mise en perspective, invitant à considérer la question de la Palestine dans le cadre des turbulences du Proche et Moyen-Orient. Elle montra comment ce qui se passait actuellement dans son pays était un « nouvel épisode de la lutte de libération de la Palestine ». Elle posa cette question aigüe pour toutes et tous dans laquelle se reconnut aisément Edgar Morin « A-t-on le droit de résister ? ».

Après avoir repris un extrait d’un beau texte de Kateb Yacine à propos des massacres du 17 octobre 1961 ; Edwy Plenel fit un dense et brillant exposé dans lequel il ne cessa de faire un va-et-vient entre le local et l’international, la politique et l’utilisation des idéologues médiatiques de la droite et de la droite extrême. Il démontra à quel point la pensée de A Gramsci selon lequel on se trouve dans cette situation de crise où le vieux tend à mourir alors que le nouveau a du mal à éclore. Dans cet intervalle, insista Edwy, « nous voyons des monstres ». Il montra la nature de la « crise de l’imaginaire progressiste » appelant à la construction d’un nouvel imaginaire « qui parle à la jeunesse ». Lui aussi appelle avec force à défendre le « nous », la « cause commune » et la « défense de la république sociale et démocratique ». Ce que ne rejeta pas Edgar Morin qui montra combien « la mondialisation crée des injustices, des distorsions mais aussi un destin commun pour l’Homme » ce qui l’amena, comme il l’avait fait dans l’Humanité du mardi, à appeler à « renouer avec l’internationalisme ».

Comme Edwy Plenel, il montra combien il fallait se garder de « rechercher des boucs émissaires » avant de débattre de la nature du mot crise, interrogeant sa définition. Lui aussi montra combien dans la décrépitude actuelle des pensées de gauche des expériences nouvelles se cherchaient, se tentaient de la part d’individus, d’associations qui défrichent « l’autre civilisation ».

Au terme de cette soirée passionnante, dont il est difficile de rendre compte dans un texte si court, Jack Ralite se demanda si on ne devait pas lancer une sorte de manifeste d’Aubervilliers, comme un appel à rester ensemble et bâtir ensemble cet « en-commun » nécessaire. Pour appuyer sa démonstration il utilisa la force de ce texte de Saint-John Perse pour « le luxe de l’inaccoutumance, seule l’inertie est menaçante ». Comment mieux dire !

paru sur le site http://patrick-le-hyaric.fr/

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