Prud’hommes : rappels historiques (1ère partie)
lundi 3 novembre 2008
Le 3 décembre prochain les salariés et les employeurs du secteur privé sont appelés à voter pour l’élection des conseillers prud’homaux. Il nous est apparu utile de revenir quelque peu sur l’histoire de la juridiction prud’homale qui apparaît comme le fruit hybride de notre passé économique et social greffé sur notre histoire ouvrière et syndicale. L’institution prud’homale fait partie des « exceptions françaises » en ce sens qu’elle constitue un élément original et quelque peu dérangeant de la stricte ordonnance de l’appareil judiciaire.
La juridiction prud’homale, dans son caractère actuel, date du XIXe siècle, mais la dénomination de Prud’homme remonte au très ancien droit français où l’on désignait ainsi, tantôt les officiers municipaux, tantôt les experts commis par justice.
Origines
L’origine de l’institution prud’homale semble se situer dans une délibération prise en 1236 sous Philippe le Bel par le conseil de la ville de paris. Mais les « Prud’hommes » ainsi créés n’étaient chargés que de défendre les intérêts municipaux auprès des Pouvoirs publics.
On a, aussi, fait allusion à un Edit de Louis XI, en date du 29 avril 1484, instituant un « Juge Prud’homme », mais celui-ci n’avait compétence que pour juger les litiges entre marchands fréquentant les foires de Lyon.
On rappellera, pour mémoire, la création au XVe siècle, des Prud’hommes Pêcheurs de Marseille, par Lettres Patentes du comte de Provence : « Elus chaque année à la seconde fête de Noël, les Prud’hommes Pêcheurs ne tiennent audience que les dimanches à deux heures de relevée ; ils jugent « sommairement » sans forme ni figure de procès, sans instance et sans qu’il soit question d’avocats ou de procureurs. Ils n’ont pas de greffier parce que leurs jugements ne s’écrivent point mais s’exécutent sur le champ. Celui qui a quelque plainte à formuler va trouver le garde de la communauté, met deux sous dans la boîte et dit assigner « un tel ». Le dimanche suivant, le défendeur, avant d’être écouté, met aussi deux sous dans la boîte et ce sont là épices des juges. Cela fait, les deux parties disent leurs raisons, après quoi les Prud’hommes prononcent le jugement… On ne connaît point d’autre formalité dans cette procédure et la chicane n’y a pas du tout entrée… ».
Notons enfin qu’il a existé une juridiction corporative des maîtres Gardes de la soierie lyonnaise (arrêt du Conseil du Roi du 2 octobre 1779) mais cette juridiction a disparu avec la Révolution.
Les Prud’hommes napoléoniens
La loi du 2 mars 1791, d’essence libérale, abolit jurandes et maîtrises estimées paralyser le développement du commerce et de l’industrie. Cette suppression emporte la disparition de toutes sortes de pouvoirs disciplinaires et juridictionnels qui régulaient et organisaient les activités. Le marché libéré les abus se multiplient.
Une loi de 1796 s’efforçe de corriger cela en créant, dans chaque canton, des Prud’hommes chargés de connaître du paiement des salaires ou comme l’on disait alors des « engagements entre maître et gens de travail ».
Dans le même temps l’ordre devait être maintenu dans les manufactures. Une loi, en date du 21 Germinal an XI (avril 1803) porte les conflits entre ouvriers et apprentis et manufacturiers devant le Préfet de Police de Paris, devant les commissaires généraux de Police, ou, à défaut, devant le Maire, dans les autres villes. La loi prévoit en outre que les autres contestations sont portées devant les tribunaux ordinaires.
Cette juridiction, d’essence policière, n’ayant ni fait régner l’ordre, ni régner l’harmonie, Napoléon 1er est saisi de divers côté. Ainsi, en 1805 des marchands et fabricants lyonnais lui présentent les avantages de leur ancien « Bureau commun » qui avait disparu dans la proscription de 1791 et en demandent la résurrection. Le 18 mars 1806 une loi établit le Conseil des Prud’hommes de Lyon. La loi ouvre la possibilité d’étendre le système à toutes les villes industrielles « pour terminer par voie de conciliation les petite différends qui s’élèvent journellement entre des fabricants et des ouvriers, soit entre les chefs d’atelier et des compagnons ou apprentis ».
Les décrets du 11 juin 1809 et du 3 août 1810 mettent au point l’organisation des Prud’hommes napoléoniens, composés uniquement des marchands-farbricants, des chefs d’atelier, des contremaîtres et des ouvriers patentés [1].
En aucun cas, les chefs d’atelier, contremaîtres et ouvriers ne pouvent être égaux en nombre aux patrons – qui doivent, au demeurant, avoir un conseiller de plus qu’aux- l’Empereur (et l’époque de la Restauration confirmera cette position) ne peut admettre que les Conseils soient autre chose que des Chambres de discipline où les ouvriers ont, certes, leurs défenseurs, mais où le dernier mot revient toujours aux patrons.
C’est donc dans ces conditions d’inégalité et de suspicion [2] que les premiers Prud’hommes ouvriers entreprennent de créer un droit social inexistant (seulement deux articles du Code civil étaient consacrés au louage des domestiques et des ouvriers).
Alors que les principales villes ouvrières de France ont depuis longtemps leur Conseil de Prud’hommes, Paris, jugé trop révolutionnaire en reste privé. Il faut attendre décembre 1844 pour que soit tentée une expérience et qu’un Conseil pour l’industrie des métaux soit institué. En 1847 on crée cependant d’autres conseils pour les tissus, les produits chimiques et les industries diverses (le bâtiment notamment).
Progrès de 1848 et réaction du Second Empire
Le 27 mai 1848, la Deuxième République, transforme de fond en comble l’organisation des Prud’hommes. Sont déclarés électeurs tous les patrons, chefs d’ateliers et ouvriers, âgés de 21 ans et résidant dans la circonscription. Mais l’élection a lieu en deux temps : les ouvriers d’une part et les patrons de l’autre élisent un nombre de conseillers triple du nombre nécessaire, puis les ouvriers choisissent dans la liste patronale les conseillers patrons, tandis que les patrons font de même avec les conseillers ouvriers !
1848 établit cependant la parité patrons/ouvriers et le Conseil de Prud’hommes quitte sa dimension « Chambre de discipline » pour accéder à celle de « justice arbitrale », autant dire à une vision angélique des relations patrons/ouvriers.
Napoléon III met fin à ce système. Une loi en date du 1er juin 1853 restreint l’électorat et l’éligibilité [3] et range les contremaîtres et les chefs d’ateliers parmi les ouvriers.
Plus grave encore, les Présidents et vice-présidents sont nommés directement par l’Empereur et peuvent être choisis en dehors des éligibles. Le président s’ajoute à la parité existante et sa voix est prépondérante.
Malgré ces perversions les Conseils de Prud’hommes sont jugés utiles et les Congrès ouvriers, depuis 1876 réclament avec énergie l’élargissement et l’amélioration de la juridiction prud’homale.
La loi de 1905
Le 7 février 1880 le droit d’élire leurs Présidents et Vice-présidents est restitué aux Conseils mais une réforme d’ensemble de l’institution est d’évidence devenue nécessaire. Dix années de controverses et de luttes sont cependant nécessaires pour aboutir à la loi (dite « provisoire ») du 15 juillet 1905.
La loi en enlevant aux Tribunaux de commerce l’appel des sentences prud’homales détruit définitivement la dimension « Chambre de discipline » des Conseils, mais en attribuant l’appel aux Tribunaux civils elle stoppe l’évolution des Conseils vers une justice arbitrale, les soumettant à des juridictions dont les principes, les buts et les méthodes d’interprétation du droit sont très éloignés du droit social. De surcroît, le principe de la voix prépondérante du Président ayant été abandonné, les juges de Paix sont appelés à trancher les différends en cas de partage des voix. Le caractère arbitral de la juridiction prud’homale est donc méconnu et les Conseils transformés en organes ordinaires de jugement.
Malgré quelques modifications de détail intervenues en 1907 et 1919 notamment, l’essentiel de la physionomie des Conseils est restée ce qu’avait voulu le législateur de 1905. Certes, les Conseils ont vu s’élargir leurs compétences, leur institution a été plus aisée et l’élection des conseillers plus facile, mais aucun progrès sérieux et profond n’est survenu jusqu’à la fin des années 1970.
André Narritsens
Notes
[1] Les ouvriers travaillant chez eux pour les fabricants en gros étaient soumis à la patente. Ils étaient si peu nombreux qu’on ne put en trouver pour constituer les Conseils.
[2] Le patron était cru sur sa seule affirmation pour la quotité des gages et le versement des salaires de l’année en cours et de l’année précédente.
[3] Les ouvriers devaient exercer leur métier depuis cinq ans et être domiciliés dans la circonscription depuis trois ans ; les conseillers devaient avoir au moins trente ans d’âge.
3 Messages